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ON EN EST LÀ !

Théâtre, comics et élucubrations diverses : Le Blog de Jérémy Manesse. (Toute rime est purement fortuite)

Par pitié, arrêtons de tomber dans le piège Dieudonné

Par pitié, arrêtons de tomber dans le piège Dieudonné

Bon, ça fait chier, ça fait deux fois que l'actualité me force à parler d'un truc dont je n'ai vraiment pas envie de parler. Et là, en plus, en le faisant, je vais un peu me retrouver à faire le contraire de ce que je propose. Mais bon, plutôt que de passer ma journée à donner le même point de vue dans quarante commentaires de statuts Facebook, je préfère cracher ma Valda ici une bonne fois pour toutes.

Ce matin, la première alerte "Le Monde" qui tombe sur mon téléphone ne concerne pas la difficulté qu'ont les gens à mettre la main sur un des trois millions de Charlie Hebdo rendus disponibles à travers tout le pays. Elle ne m'annonce pas que l'état a décidé de condamner plus fermement les exactions de Boko Haram, ou celles perpétrées contre les yézidis (franchement, comment on peut laisser faire ça où que ce soit ?). Non, "Le Monde" trouve essentiel de m'annoncer que Dieudonné a été mis en garde à vue pour apologie du terrorisme, après son "Je suis Charlie Coulibaly".

Alors je vais choisir très soigneusement mes mots parce que je sais que c'est nécessaire sur un tel sujet, en retour, je vous demanderai d'écouter jusqu'au bout, même si c'est long.

Peu de temps après son statut incendiaire, Dieudo a publié une lettre pour expliquer sa "blague" : A travers son statut, il explique en fait que depuis un an, il se sent considéré comme l'ennemi public numéro un (comme Coulibaly), et qu'il s'est senti bien seul en défilant dans une manifestation pour la liberté d'expression dont il pense qu'elle lui a été refusée.

Il n'a pas tort. Et si on revient à Charlie Hebdo, on a vu beaucoup de reconvertis défendre leur liberté d'expression alors qu'ils étaient pour la censure des couvertures Mahomet il y a quelques années. Pour ce qui est de Dieudonné, des excès ont très certainement été commis, notamment par Manuel Valls quand il proposait d'interdire tous les spectacles À VENIR de l'auteur (au nom de quoi ?). Dieudonné n'est pas tout blanc (ah ah), mais ses détracteurs non plus.

Mais c'est là qu'est le piège, en fait. Dieudonné est tout sauf un imbécile, et ses mots sont soigneusement choisis pour pouvoir avancer cette version tout en déclenchant la colère de ses détracteurs. Ce que dit Dieudo dans sa lettre, il aurait très bien pu le dire en premier plutôt que de publier un statut ambigu, laissant la place à une interprétation d'appel à la haine. Il avait cette semaine une occasion rêvée de se racheter une conduite et d'exposer sereinement son point de vue. S'il ne l'a pas fait, c'est exprès. Il est trop intelligent pour avoir été ambigu par hasard.

Toujours est-il que la double interprétation est là. Et les défenseurs de la liberté d'expression ne pourront que s'insurger si la première mesure qui fait suite à la manifestation de dimanche est de mettre en prison un humoriste. Et les gens qui ont été touchés par ce drame (parfois les mêmes) ne pourront que trouver indécent de dire "Je suis Charlie Coulibaly". Et tout le monde se remet à s'engueuler sur Internet. Autour de Dieudonné. Ce qui est exactement ce qui était recherché.

Mon dernier article concernant Dieudonné date d'il y a un peu plus de sept ans, vous pouvez aller y jeter un œil. C'était la dernière fois que j'ai vu un de ses spectacles, j'ai depuis, finalement et définitivement, tourné le dos à sa façon de jeter de l'huile sur le feu, à sa provocation qui touche même ses enfants (appeler son fils Judas, je ne peux pas cautionner... et ça vient de quelqu'un qui vient d'appeler son fils Loki... ce dont je vais finir par parler, hein), à son public. Au danger qu'il fait courir à mon oncle, qui est toujours son régisseur son, qui n'a plus personne à qui parler à la Main d'Or et qui s'est fait casser la gueule trois fois cette année. Je lui ai tourné le dos avec tristesse, parce qu'encore une fois, en matière de one-man, c'était le plus grand. Maintenant, je ne VEUX PLUS parler de Dieudonné. Ça ne m'intéresse pas.

Mais aujourd'hui, c'est du piège que je veux parler. Celui dans lequel on est encore tombés aujourd'hui. Sortons un peu du cas Dieudonné. Personnellement, et même si c'est condamné par la loi, je suis pour la liberté d'expression, quelle qu'elle soit. Apologie, appel aux meurtres... ça a l'avantage d'indiquer où sont les connards. Et tant que ça ne reste que des paroles, il me suffit de les ignorer... Et celui qui passe à l'acte parce qu'il a lu un appel au meurtre, eh ben il était pas franchement net dès le départ, et ça m'étonnerait qu'il n'aurait pas trouvé un autre "déclencheur". A partir du moment où on dit "liberté d'expression, sauf pour...", ça devient compliqué.

Alors quand plusieurs interprétations de la même phrase sont possibles, ce qui est très certainement le cas aujourd'hui, je ne peux pas être du côté de la sanction judiciaire, voire même d'une incarcération car c'est ce qui peut se produire ici. A vrai dire, avant que Dieudo ne s'explique, j'avais même une autre "lecture" du "Je suis Coulibaly" en tête : Celle que j'ai eue en entendant cette discussion surréaliste diffusée à la radio, entre Coulibaly et l'un des otages. Où ils se mettent à parler d'impôts, de coca, de ce qui est bon pour la santé. Une discussion de café du commerce, quoi. Et je me dis, pourquoi ce type a-t-il cru qu'il lui fallait prendre deux kalachnikovs pour avoir cette discussion avec quelqu'un ? Pourquoi ce gosse à la voix fluette et aux arguments nazes, qui parle à des juifs (censés être "l'ennemi") comme à des voisins dignes de respect, est-il devenu un terroriste ? Pourquoi on en est là ? Ce type est un assassin, oui, mais c'est aussi une victime. Une victime de ceux qui lui ont retourné la tête et l'ont précipité du côté obscur de l'Islam. On doit garder ça en tête quand on pleure les victimes de ce drame.

Mais bref. Ça arrange très bien les gouvernants de tomber dans le piège Dieudonné, Valls a mis les deux pieds dedans lors de l'histoire des annulations de spectacle, et là aussi on peut parler de récupération. Et comme je disais dans l'un de mes derniers statuts Facebook : "Aux récupérateurs de tout poil, anti-Islam, anti-juifs, pro-peine de mort, anti-Taubira, anti-PS, anti-droite, anti-politique, anti-humour potache, anti-stationnement payant, et à Zemmour : Ta gueule. On est fatigués." J'ajoute donc Dieudonné à la liste, très certainement. Quand j'ai écrit ça, je pensais qu'il aurait l'intelligence de la fermer une semaine, vraiment.

Si on cesse tous de parler de lui, l'effet de nuisance ne dure que cinq minutes. Si on en parle, ça ne règle rien, on ne fait que tomber dans son piège.

C'est pour ça que la couverture choisie par Charlie Hebdo est géniale : Elle dit tellement de choses à la fois. On n'a pas peur. On est tristes. On va continuer de rigoler. Et surtout, surtout, "tout est pardonné". On veut la paix. On veut vivre ensemble. Ces jours-ci, je veux voir les signes d'espoir qui émergent de tout ce merdier : la manif, le cas Lassana McClane, les vocations qui semblent s'éveiller chez des dessinateurs qui n'étaient pas forcément connus pour être subversifs. J'ai pas envie de m'engueuler. J'ai envie de faire des bisous. Et allez, de me moquer un peu de Sarko avec tout le monde, on n'est pas des bêtes.

Pour finir, pour ceux qui ne l'ont pas vu, je conseille un vieux film de Milos Forman, Man on the Moon avec Jim Carrey. Il raconte l'histoire d'Andy Kaufman, un humoriste provocateur génial mais torturé, qui n'était finalement satisfait que quand il était le seul à comprendre ses blagues. Il est l'inspiration de beaucoup d'artistes, parfois pour les bonnes raisons, parfois pour les mauvaises (c'est facile de se revendiquer de Kaufman juste parce qu'on a fait une blague incompréhensible). Andy Kaufman, j'en suis sûr, est une inspiration pour Dieudonné. Surtout, c'est un bon film.

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A
Je suis d'accord pour le silence, dont naissent les bonnes questions. voir mes derniers textes et la page Charlie peut-être
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C
Pas mieux.
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