Théâtre, comics et élucubrations diverses : Le Blog de Jérémy Manesse. (Toute rime est purement fortuite)
29 Avril 2017
Elle a été fun, cette semaine, hein ?
Dimanche soir, après le coup de blues du premier tour et cette arrivée ratée de quelques 600 000 voix (une paille, comparées aux 47 millions d'électeurs appelés aux urnes), j'ai ressenti le besoin d'exprimer un bon coup à la fois ma frustration et l'intention que j'avais de m'abstenir ou de voter blanc au deuxième tour (ce dont je n'avais jamais fait mystère si on se retrouvait avec un duel entre les candidats Macron, Fillon et Le Pen, au passage). Je n'ai pas été le seul à avoir cette réaction épidermique.
Des amis macronistes qui voyaient bien le genre de déception qui pouvait être la nôtre ont eu la réaction intelligente de nous laisser faire le deuil. Il y avait tout de même deux semaines avant le deuxième tour, autrement dit une éternité. Le reste de la Terre a jugé utile de mener contre nous une guerre immédiate, injurieuse et violente. L'objectif n'était plus que le FN ne soit pas élu au second tour, il fallait que les Insoumis votent Macron. Qu'ils le disent, qu'ils l'affirment, si possible en vidéo. S'en est suivi, toute la semaine, un défilé de tribunes, de chroniques, d'articles (oui oui, ça vient souvent de chez Slate), exigeant une position ferme et claire de notre part et surtout de la part de Mélenchon, et en contrepoint des tribunes, des chroniques, des articles, expliquant qu'on était encore en démocratie et que chacun était libre de son choix, aussi farfelu vous semble-t-il.
On en est arrivés à des situations extrêmes, pour le coup un peu fascisantes, ou l'appel de Martine Aubry, par exemple, pour "comme en 2002, faire barrage au Front National" était condamné comme n'étant pas assez clair ("Non, il faut qu'elle dise son nom !"). Comme s'il fallait humilier les gens qui considèrent Macron comme un ennemi juré, politiquement parlant. Surtout, comme si quiconque avait jamais suivi une consigne de vote ne correspondant pas à ce qu'ils ont décidé de faire.
Je me suis même fait donner des leçons par quelqu'un qui n'avait pas voté au premier tour. Faut le faire. Parce que oui, si Le Pen passe, ça ne sera pas de la faute de ceux qui votent Le Pen, ni celle des 10 millions qui n'ont pas voté au premier tour et lui ont permis d'être là, ni celle de l'insipide Macron, mais la nôtre. Autant être prévenus d'avance.
Cette réaction imbécile a eu évidemment pour effet de radicaliser ceux qui, comme moi, voient en Macron un danger à long terme bien plus terrible que le danger à court terme d'un gros score du FN au second tour. Je m'arrête d'ailleurs pour répéter pourquoi, mathématiquement, je continue à juger aussi improbable la victoire de Le Pen que de gagner au Loto ce soir (sachant que je n'ai pas joué).
On sait, historiquement, que le FN a un réservoir très limité de voix. En 2002, Le Pen a fait 4,8 millions de voix (seulement !), 700 000 de plus au second. Plus récemment, en 2015 aux régionales, record du parti, où la gauche était en plus largement absente du second tour et où le FN a pu se maintenir partout, le parti est passé de 6 millions de voix à 6,8 millions. 800 000 voix de plus. A Henin-Beaumont en 2002, Marine Le Pen elle-même n'a pu augmenter son score que de 20% entre les deux tours.
Et pourtant, on voudrait me faire croire qu'en ayant eu 7,6 millions de voix au premier tour, Le Pen pourrait gagner le second. En imaginant une abstention monstre à 33%, il faudrait pour ça qu'elle fasse 15 millions de voix, soit le double du premier tour. Le tiers du pays prêt à laisser les clés aux fachos.
"Mais il y a Trump !", me dit-on. Déjà, Trump aurait perdu les élections si cela s'était déroulé comme en France. Ensuite, Trump avait l'un des deux partis majoritaires des Etats-Unis derrière lui. Enfin et peut-être surtout, Trump est un signal suffisamment fort pour précipiter la plupart des gens vers les urnes ici. Le mouvement vers l'abstention n'est pas une vague, nous n'essayons de convaincre personne. En tout cas me concernant, j'ai indiqué quel était mon état d'esprit, mais je n'ai absolument pas essayé de convaincre qui que ce soit de ne pas voter Macron.
Là-dessus, des amis m'ont posé une question bien plus intéressante : "Si tu ne veux convaincre personne, pourquoi affirmer si fortement ton abstentionnisme ?". Tout d'abord, parce qu'il faut avouer qu'à force de se faire insulter, on se radicalise, clairement. Mais ça n'est pas le fond du problème.
Ce qui m'a choqué, moi, dimanche soir, c'est à quel point il était acté que Le Pen allait être au deuxième tour, et le peu d'indignation que ça a provoqué. Bien loin, les rassemblements spontanés du 21 avril 2002, la gravité de Chirac en prenant la parole (Macron semblait avoir oublié qu'il n'avait pas encore gagné l'élection), l'hébétude des commentateurs politiques ("c'est avant tout le couronnement de la superbe campagne de Macron", a-t-on pu entendre dimanche, entre autres). On avait l'impression qu'avoir Le Pen au deuxième tour, c'était surtout l'assurance que Macron allait passer, ce qui rassurait évidemment une majorité des gens en place pour qui c'était le seul candidat viable. Et ça, c'est un problème. Parce qu'à force de banaliser ça, effectivement, à ce compte-là, elle peut passer.
Cette histoire de Barrage Républicain, c'est devenu un outil bien trop pratique pour manipuler les masses, depuis 2002, et leur faire voter ce qu'on veut (on sait bien que c'est pour ça que Mitterrand avait laissé prospérer le FN). Pourquoi personne n'a supprimé l'article 16 de la constitution depuis 2002, alors que c'est la seule chose qui permettrait réellement à Le Pen de menacer la démocratie entre maintenant et les législatives ? Parce que c'est quand même bien pratique de pouvoir faire peur avec le FN.
Selon une étude des Echos (pas exactement des mélenchonnistes), 45% des électeurs de Macron ont voté utile dès le premier tour, pour éviter Le Pen / Fillon au deuxième tour. Alors même que 61% (61% !) des mêmes électeurs pensent que leur situation ne va pas s'arranger sous Macron. Sans l'épouvantail Le Pen, jamais Macron n'aurait atteint le deuxième tour.
Et la manipulation continue : Les médias font du silence de Mélenchon (alors qu'en 2002, Jospin a mis cinq jours avant de s'exprimer, ce qui n'a à l'époque dérangé personne) et du DANGER FN un prétexte pour décrédibiliser le mouvement de la France Insoumise, qui s'annonce comme la force républicaine la plus cohérente et la plus stable pour les législatives. On est déjà en train de nous dire "Il ne faudra pas voter FI parce qu'ils n'ont pas appelé à voter Macron". Argument qui se retournera contre ceux qui le lancent, je pense, parce que tout le monde voit à très, trop court terme.
En somme, tout le monde use bien trop légèrement de l'arme de manipulation massive du FN. Ce qui me fait dire que les gens n'ont pas ASSEZ peur que le FN passe. C'est pourquoi, quoi que je fasse au final le dimanche 7 mai, je vais continuer à laisser croire que je peux m'abstenir. Parce que ce chantage anti-démocratique a assez duré. La conférence de presse de la France Insoumise, en milieu de semaine, m'a fait énormément de bien, d'abord parce qu'elle montre que ceux qui montent au créneau en l'absence de Mélenchon sont tout à fait capables de prendre la suite, ensuite parce qu'elle est dans la droite ligne de ce que je pense.
(Ca dure un peu longtemps, hein, vous regarderez peut-être ça plus tard.)
Mais voilà, vous avez vu le titre de cet article, et si vous vous êtes accroché jusque-là, c'est que vous attendez le rebondissement. J'y suis presque.
Sur beaucoup de points, je le répète, je trouve Macron aussi dangereux que Le Pen. Oui, la politique de Le Pen a tué, de sinistre mémoire (même si ça reste, je pense, une caricature de voir en elle un Hitler en puissance), mais en ce moment, partout dans le monde, c'est la politique défendue par Macron qui tue, et creuse les inégalités, et détruit la planète, ET fait monter le Front National. C'est mon point de vue, et si on l'accepte, on peut imaginer à quel point c'est difficile pour moi d'envisager de voter Machin.
(D'ailleurs, si on s'était trouvés avec un Mélenchon / Le Pen, je suis certain que l'unanimité n'aurait pas été de mise, et que le "ni/ni" aurait trouvé un écho beaucoup plus large dans les médias et la classe politique. Et que ça aurait dérangé beaucoup moins de monde. Si vous ne le croyez pas, attendons les législatives. Les triangulaires risquent d'être assez savoureuses dans les cas où la France Insoumise sera en meilleure position pour battre le FN. Et d'ailleurs, certains électeurs de Macron, plus honnêtes que d'autres, m'accordaient volontiers ma position, parce qu'entre Mélenchon et le Pen, ils n'auraient pas choisi.)
Je ne crois pas que Marine Le Pen créerait un état fasciste. Je pense que ce serait la merde, clairement, mais que comme Trump elle ne pourrait pas mener sa politique comme elle l'entend parce que les contre-pouvoirs sont nombreux, et qu'elle n'obtiendrait pas de majorité aux législatives.
La SEULE différence vitale à mon sens entre Macron et Le Pen, c'est la haine. Je trouve le danger Macron en un sens plus grand parce qu'il est insidieux et pernicieux, qu'il se cache derrière un sourire, mais le FN, c'est la haine, uniquement la haine. Et en fait, je n'ai pas peur du FN en tant que tel, mais j'ai peur de la violence qui sera désinhibée si elle passe, des gens qui risquent de se faire physiquement agresser dans la rue. C'est pour ça que oui, je trouve que Le Pen c'est pire que Macron. Mais seulement pour ça. Je ne veux pas que certains de mes amis, de mes voisins, souffrent, que mes enfants vivent dans ce genre de climat de tension.
On en revient donc à la crédibilité du danger. Je l'ai dit, la probabilité est très très faible, quasi nulle. Mais.
Mais depuis une semaine, tout le monde a l'air de devenir cinglé. Les médias continuent de faire la campagne la plus pitoyable de l'histoire. Voilà qu'au moment où Macron, qu'ils ont encensé pendant des mois, est confronté à Le Pen, ils se mettent à faire du Macron-bashing, cognant à toutes forces sur les détails les plus insignifiants de sa campagne. Comme s'ils s'étaient dit "tiens, quand on tapé sur Mélenchon, ça l'a fait monter, peut-être qu'on ferait mieux de faire ça". En parallèle, alors même qu'on nous dit que Le Pen c'est pire que tout, on la traite comme une candidate normale. S'il faut surtout éviter qu'elle gagne, pourquoi est-ce que je reçois des alertes sur mon téléphone à chaque fois qu'elle tient un meeting ?
Ensuite, la bulle Macron choisit le pire moment pour enfin se percer. Il prouve sans cesse à quel point il est trop frais pour tout ça, et il passe bieeeen trop de temps dans ses meetings à tirer sur Mélenchon, les gens du PS et les Républicains qui ne se rangent pas derrière lui comme un seul homme. Ils ont perdu, bonhomme, ton adversaire est en face. Il faut nous rassembler maintenant ! Ajoutons à ça ce côté exalté qui me fait un peu trop penser à Geoffrey dans Game of Thrones. Je ne jurerais pas qu'il n'a pas, lui aussi, un petit dictateur en lui.
Enfin, Le Pen, de son côté, fait indubitablement une excellente campagne. Se mettre en retrait du Front National, et surtout s'allier à Dupont-Aignan, c'est un gros coup. De deux façons : Elle montre qu'elle est prête à s'ouvrir à la frange de la droite qui a toujours été un peu tentée par elle, et en annonçant qui sera son premier ministre, elle met au défi Macron de sortir du flou. Comme la candidature de celui-ci a énormément tenu là-dessus, il a tout à y perdre. Il y a peu de noms parmi ceux qui circulent qui feraient l'unanimité.
Seul grosse connerie de sa part : Son insupportable vidéo aux Insoumis, qui a tellement mis les nerfs à certains d'entre nous que c'est sûrement le meilleur argument de la semaine pour aller voter Machin. Pour ma part, j'ai eu l'impression d'être un enfant qui entre dans sa chambre et trouve quelqu'un en train de filmer un film porno avec ses peluches.
Mais voilà la situation vraiment merdique dans laquelle je me trouve. Même si je pense toujours que Le Pen ne peut pas passer, j'ai l'impression que tout le monde s'y met pour que ce soit possible. Elle, Macron, les médias, et vous tous qui me prenez le chou depuis le début de la semaine et envoyez toujours plus de gens vers l'abstention. Et j'hésite.
Si je finis par ne pas voter pour Machin, j'aurai de toute façon ma conscience pour moi. Pourquoi ? Parce que pendant que vous nous traitez de collabos et d'irresponsables sans jamais rien faire pour faire effectivement baisser le Front National, je cherche. Je cherche, autour de moi, les gens qui pourraient être tentés par le FN, qui en ont parlé. Et eux, je leur parle, je les convainc de s'abstenir. Et ça n'est pas si difficile, surtout quand on a milité pour le seul candidat qui propose un exutoire positif et humaniste à la colère des gens. Mélenchon l'avait prouvé il y a quelques mois dans l'Emission Politique, avec cette restauratrice de Calais qui avait fini par décider de voter pour lui.
Tout ceux qui votent pour Le Pen ne sont pas racistes. Tous ceux qui votent pour Le Pen ne veulent pas qu'elle passe. En les ostracisant, en estimant qu'ils sont "perdus pour la démocratie", on accepte que le score du FN ne fera jamais que monter, puisqu'on ne propose rien pour diminuer les inégalités, réconcilier les gens, déstigmatiser les étrangers. En votant Macron pour contrer Le Pen, quelque part, on lutte contre les conséquences en renforçant les causes. Et si je ne vote pas Machin, mais que j'ai convaincu quelques personnes de ne pas voter FN, comment je pourrais être mal dans mes baskets ?
Mais tout ça étant dit, voilà ce que je vous propose, à vous les amis Insoumis qui êtes dans la même situation que moi, et aux autres indécis de l'abstention. Evidemment, ça n'est pas une consigne, chacun fait ce qu'il veut, je vous dis juste ce que j'envisage de faire.
J'irai voter Machin (non, je ne sortirai pas clairement cette phrase), pour m'assurer que Le Pen ne passe pas et que ça ne soit pas la fête au casseur d'arabe dans la rue. MAIS dans toutes mes conversations sur Internet, je continuerai à laisser planer le doute, pour que jusqu'au bout, on ait PEUR que le Front Républicain ne marche plus. Et Machin gagnera. S'il passe à plus de 60%, je rirai au visage de tous ceux qui m'ont affirmé que "SI, ça va se jouer à CA !", jusqu'à la fin de l'éternité, ce qui sera une récompense en soi. Puis, je laisserai Machin s'empêtrer dans une coalition impossible à créer, montrer les incohérences de son programme, dévoiler l'ultra-libéralisme de sa politique. Je regarderai le PS et les Républicains se noyer dans ces incohérences et se déchirer.
Et ensuite, nous gagnerons les législatives. Nous prendrons un malin plaisir à demander parfois aux gens de faire barrage à Machin puisque Le Pen n'est plus un danger. Et Machin devra se fader cinq ans de cohabitation avec la France Insoumise, au grand dam de tous ceux qui nous pensaient morts et divisés. Et ce sera encore plus beau parce que nous aurons prouvé que nous ne sommes pas une bande d'illuminés derrière un gourou mais une vraie force politique.
Et à l'issue de ces cinq ans, il est fort possible que le FN tombe en-dessous des 10%. Et que tout le monde puisse enfin voter pour ses convictions à la prochaine Présidentielle.
Je voterai Machin, donc.
Ou pas.
Je vous laisse avec l'intervention du copain, post-premier tour, pour ceux qui ne l'ont pas encore vue. Encore une fois, ça fait du bien.