15 Avril 2017
Ce dimanche 16 avril à 20h30, ma pièce "MAMANS" se rejouera exceptionnellement au Café de la Gare. Il restera sûrement quelques places pour les curieux malgré une salle quasiment remplie d'avance, alors si vous n'avez rien à faire en cette veille de Pâques, n'hésitez pas, on rit et on chante, ça vous changera les idées.
Mais ça n'est pas pour ça que j'écris cet article. Aujourd'hui, je viens vous parler de ma maman.
Vous êtes tout à fait en droit de l'ignorer, mais je suis le fils de Sotha, cofondatrice du Café de la Gare avec Romain Bouteille, Coluche et toute une bande de jeunes fous qui ont à l'époque préféré monter leur théâtre plutôt que de s'épuiser l'âme à courir de casting en casting. Des gens qui étaient là au début, beaucoup sont partis, certains sont morts, Maman Sotha est toujours restée. Au cours des années, et tandis que Papa Philippe reprenait la gérance de la boîte, elle a continué à écrire et monter des pièces pour faire battre le coeur de ce théâtre si spécial, comme dirait l'autre. En espérant préserver une certaine façon de travailler, de créer et de vivre. Elle m'a fait tourner à six ans, monter sur scène à dix. J'ai autant appris de ses qualités que de ses défauts, en tant que comédien, metteur en scène, auteur et bien sûr en tant qu'être humain.
C'est encore moins su du grand public, mais Sotha est aussi réalisatrice (c'est d'ailleurs sa formation au départ, puisqu'elle a fait la FEMIS). Son plus grand succès est Le Graphique de Boscop, adaptation culte de sa pièce. Je n'utilise pas le terme comme on l'accole à tout film deux semaines après sa sortie, le vidant de sa substance : Sorti en 1976, il est devenu à certains endroits, principalement à Lyon, un phénomène à la Rocky Horror Picture Show, continuant à être projeté une fois par semaine des décennies plus tard.
Elle a ensuite adapté une autre de ses pièces, Roger, Roger et Roger, en film (Les Matous sont romantiques, 1981), avec beaucoup moins de succès. En 1987, elle a pensé pouvoir réaliser un film comme ça se faisait avant, sans penser en amont à qui le distribuerait ou le produirait. Tant pis si je meurs n'est jamais sorti en salles, personne n'ayant mis de billes dedans.
Mais avant Le Graphique de Boscop, Maman a réalisé son premier long-métrage, Au long de Rivière Fango, une oeuvre fondatrice qui, comme tous ses films, n'a jamais été diffusée à la télé, et qui n'était jamais sortie en DVD. Jusqu'à aujourd'hui.
J'avais vu Au long de Rivière Fango il y a longtemps, quand j'étais petit, et le rythme et les thèmes du films m'étaient très certainement passés au-dessus de la tête, tant je n'en avais plus aucun souvenir.
(A vrai dire, de leur propre aveu après la projection de presse, la plupart des membres de l'équipe du film, qui l'ont récemment revu pour la première fois plus de 40 ans après, étaient dans la même situation.)
En le revoyant, j'ai été frappé par la liberté de tout ça. La liberté de jeu, de réalisation, la liberté même en tant que thème central du film. Au début, on se laisse porter par une curiosité qui sera plus ou moins impatiente selon les cas, au travers d'une suite de scènes, dont on se dit qu'elles vont s'enchaîner sans trop de lien, en appréciant seulement le superbe casting, si jeune, si frais, et un ton. Un genre de western bucolique, très "peace and love". Et puis, le film surprend quand il s'avère avoir un scénario, des rebondissements, et une forme d'extrémisme paisible dans le propos qui force la réflexion (ne serait-ce que : "oui, l'extrémisme paisible, c'est possible").
Le scénario est simple : L'héroïne est la propriétaire d'un immense domaine où l'argent n'existe pas, et où viennent vivre des gens qui acceptent de partager son mode de vie. Arrivent deux étrangers blonds à sa recherche, porteurs d'une nouvelle fracassante (pensent-ils) et d'idées bien arrêtées sur les bienfaits du capitalisme.
A une semaine des élections, le film surprend par sa pertinence. Il ne vous dira pas pour qui voter, mais intriguera par les questions que se pose la jeune réalisatrice, et la façon dont elle y répond. Il ne s'agit certainement pas que de se mettre des fleurs dans les cheveux et de faire l'amour, pas la guerre (même si ça fait partie du trip) mais d'assumer pleinement une forme d'autarcie, un "P.R.A.F." avant l'heure, et de défendre bec et ongles ce mode de vie. Par ces thèmes, le film m'a fait penser à Captain Fantastic, que j'ai enfin vu il y a peu de temps (à voir absolument, hein). Mais il est intéressant de voir que si le film avec Viggo Mortensen finit par trouver un compromis, Sotha le refuse clairement. En tant que fils génétique et spirituel, sans spoiler, ça ne pouvait que m'interpeller.
Ce qui m'a aussi frappé, c'est l'incroyable casting : Emmanuelle Riva, Rufus, Patrick Dewaere, et Romain Bouteille emmènent une distribution où brillent aussi Christine Dejoux, Sophie Chemineau et Elisabeth Wiener. Le générique dévoile Miou Miou et Martin Lamotte dans l'équipe technique, de même que le Making-Of, l'un des premiers du genre, qui est en bonus sur le DVD. Mon opinion est que les gens qui verront ce film se demanderont comment il se fait qu'ils n'en ont jamais entendu parler avant.
Alors, attention, c'est un premier film, avec des défauts, très clairement. Le parti pris de tourner en son direct et en lumière naturelle exclusivement rend, malgré le travail de restauration, certaines répliques difficilement audibles, et surtout, une énorme erreur de casting s'est glissée sous la forme de l'un des personnages principaux, dont l'insuffisance est mise en exergue par le talent de ceux qui l'entourent (lequel talent leur permet d'ailleurs de lui rattraper des coups). Je pense pour ma part qu'il est plus facile d'accepter ça tant de décennies après la sortie du film et que ça participe, en un sens, au charme d'Au long de Rivière Fango.
La version restaurée du film est disponible en DVD, de façon très discrète (vous pouvez aussi contacter le Café de la Gare pour en avoir un exemplaire pour 15 euros, je crois qu'ils en seront les plus gros fournisseurs), mais cette sortie est précédée d'une ressortie en salles parisiennes, très confidentielle mais qui a le mérite d'exister : au Brady, 39 Boulevard de Strasbourg, une fois par jour, et au Luminor, 20 rue du Temple, à deux pas du Café de la Gare, les vendredi, dimanche et lundi. Bien sûr, n'attendez pas trop si vous voulez le voir en salles, j'imagine que la durée de vie dépendra grandement du succès rencontré !
Et une dernière bonne nouvelle pour la route : La sortie du DVD sera suivie d'une réédition du Graphique de Boscop, avec des bonus inédits au programme !