
Bon, attention, ça va partir de très loin, cet article.
Je suis abonné à deux journaux d'information : Courrier International et Marianne. Le premier parce que je trouve l'actualité internationale bien plus essentielle pour l'avenir de l'espèce (comprendre : est-ce qu'il nous faudra plus d'une génération pour nous autodétruire ou pas) que nos petits soucis franco-français, tout respectables qu'ils soient, et parce que je préfère lire ce que les autres pays disent de nous plutôt que les avis des journalistes français sur lesquels est en train de se refermer le piège Berluskozy. Marianne parce qu'ils continuent à faire leur boulot malgré l'adversité, même s'ils ont tendance à s'en targuer un peu trop souvent dans leurs articles ("déjà en janvier 82 nous disions bla bla bla") et que leurs brêves tombent parfois dans le travers du Canard, à savoir chercher la petite bête pour le plaisir d'un bon mot. Mais c'est au point que je connais des gens qui ne lisent pas Marianne et pensent que c'est un journal d'extrême-gauche, ce qui est très loin d'être le cas.
Ce qui lie les deux magazines, d'ailleurs, c'est le coup de gueule de Jean-François Kahn dans le Marianne de cette semaine, qui rue dans les brancards journalistiques en donnant des noms et en citant quelques anecdotes pas piquées des vers, montrant l'influence grandissante du pouvoir politique sur les médias français et alertant l'opinion sur le fossé qui se creuse dans les rédactions entre la base (les journalistes) et les intérêts de leurs patrons. Au passage, Kahn déclare quitter le conseil d'administration de Marianne pour d'autres horizons, arguant qu'il faut aller dix fois plus loin et taper dix fois plus fort, en gros... Je sais pas ce que ça veut dire mais comme il parle pas mal d'Internet dans l'interview, je me demande s'il ne va pas lancer son site de web-information. Quoi qu'il en soit, ça m'intéresse.
(Au passage, un petit commentaire sur la dernière "vidéo-dérapage" de Sarkozy avant son interview sur France 3 : franchement, j'y ai rien vu de très passionnant, à part peut-être un nouvel exemple d'une gênante proximité entre lui et les journalistes... J'ai peur qu'à force d'aller chercher les petites bêtes - et dieu sait qu'il y en a - on ne finisse par provoquer un contre-coup de ras-le-bol en faveur de Sarkozy... mais bon.)
Non, si je parle du numéro de cette semaine de Marianne, c'est surtout parce qu'il y a un dossier sur "Les Narcisse", toutes ces personnalités qui "ne parlent que d'eux, ne pensent qu'à eux", etc. Dans le même panier, des Sarkozy, des Jospin, mais aussi des Domenech, des Begbeider... Le débat sur la pipolisation de la politique et de la culture ne date pas d'hier, et faut admettre qu'on voit défiler beaucoup de monde qui adore s'entendre parler. C'est pareil dans le milieu du théâtre, bien sûr, et c'est là où je voulais en venir, parce que cet article a fait écho à quelques petites choses que je voulais clarifier, quelques commentaires que j'ai pu lire... en somme, il m'a interpellé sur ma propre démarche lorsque j'alimente ce blog où, plus souvent qu'à mon tour, je parle de moi.
Je l'ai souvent dit ici, peut-être pas assez, si j'aime le théâtre c'est aussi pour le relatif anonymat qui va avec. Pour un comédien, j'entends. J'ai tenu six mois à la télé, sur Comédie, c'est peut-être un des pires souvenirs de mon existence et je sais que j'aurais beaucoup de mal à y retourner. Pourtant c'était dans des conditions proches du théâtre, avec un public, mais voilà. Je n'ai pas fait beaucoup de cinéma, ça me tente bien mais j'aurais toujours la crainte... de devenir connu, quoi.
J'ai pas envie d'être célèbre. J'ai pas envie qu'on me reconnaisse dans la rue, que des inconnus s'adressent à moi comme si on se connaissait depuis toujours. J'ai envie de contrôler ce qu'on sait de ma vie. J'en connais, des gens célèbres. J'aime pas trop leur vie. Pour moi, hein, eux sont peut-être très heureux. Mais moi, je suis finalement quelqu'un d'assez peu sociable, à peine mondain, je m'endors systématiquement sur un fauteuil à toutes les soirées où tite chérie me traine... Il y a beaucoup de gens que j'aime beaucoup, mais je préfère les retrouver autour d'un café ou d'un diner que dans une soirée où on a des bouts de conversations anecdotiques avec tout le monde.
A côté de ça, je suis comédien, j'adore être sur scène et faire marrer les gens... c'est mon paradoxe, sûrement. Sauf la photo en tête de cet article, là c'est juste mon côté cynique qui s'exprime. Cela dit, j'ai beaucoup plus de barbe, maintenant. Je vais bientôt rattrapper Alan Moore.
Là où on peut définir peut-être plus précisément ma position en tant que comédien, par exemple, c'est que jamais vous ne me verrez faire de one-man-show. C'est un truc que je comprends pas. J'ai besoin d'avoir des gens avec qui rigoler sur scène, qui me surprennent, avec qui je construise quelque chose. En général, les gens font du one-man-show pour une seule raison (à part ceux qui ne supportent pas les autres comédiens) : s'en servir comme d'une vitrine pour aller plus loin. Pour décrocher d'autres choses. Pour réussir. Moi, tant qu'il y a assez de monde dans la salle pour qu'on s'amuse, qu'on puisse payer les gens et ne pas couler le théâtre, je suis content.
Bon, ça, c'est pas tout à fait vrai, et c'est là qu'on attaque le coeur du problème. C'est pas vraiment un problème, hein, mais c'est de ça que je parle aujourd'hui. Bref.
Pour faire simple, je veux que le Café de la Gare apprenne à communiquer. Quand je dis le Café de la Gare, je veux dire nous, "l'équipe", la "famille" du Café de la Gare. Depuis des années, les pièces qui cartonnent le plus fort chez nous sont des productions extérieures. Les nôtres, de pièces, vivotent dans la plupart des cas. Les exceptions sont certaines des pièces que j'ai montées. Ca n'est pas une question de qualité, c'est uniquement parce que j'ai préparé leur lancement un minimum. Je ne pense pas qu'il y ait plus de, allez je suis gentil, 5% des gens qui viennent au Café de la Gare qui savent que c'est un lieu de création, tenu par certaines des personnes qui étaient là au début... ceux qui n'ont pas voulu être célèbres, d'une manière générale. (Les méchants, comme Depardieu, diront "pas pu", sans doute... je m'en tape)
Faut savoir qu'il y a vingt, trente ans, ça se passait comme ça au Café de la Gare : il n'y avait pas de spectacle extérieur (à part les copains, genre Rufus, qui venaient jouer l'été pendant que l'équipe partait en vacances). Il y avait pas besoin de faire de pub : la salle était remplie d'office. Du coup, le spectacle n'avait pas besoin d'être calé au rasoir dès la première : l'énergie était là, celle de la salle, notre carburant, et la pièce se dessinait au fur et à mesure devant les spectateurs, avec son lot d'hésitations, de recherche. Ca faisait partie de l'attrait, du charme du truc. Certaines des scènes les plus connues des anciennes pièces de ma mère n'ont été trouvées qu'à force de mois d'improvisation.
Mes parents ont une tendance certaine à continuer de monter des spectacles comme si nous étions toujours à cette époque. Or ça n'est plus possible. Comme je l'ai déjà dit ici, Paris c'est devenu le festival d'Avignon toute l'année. Ne pas préparer le lancement d'une pièce, ça veut dire démarrer devant des salles de trente personnes. Et devant trente personnes, un spectacle pas assez répété, pas assez su, ça peut n'être plus du tout charmant. Et ça ne génère pas un bouche à oreille favorable. On a démarré des spectacles sans avoir l'affiche du spectacle le jour de la première. Ca, c'est plus possible.
Mon objectif, donc, ça n'est pas tant de faire que mes pièces cartonnent, mais que nous, le Café de la Gare en tant qu'entité, fassions évoluer notre façon de créer des spectacles. Tout simplement en préparant leur lancement. Ce blog sert à ça. Le making of de "À Suivre...!" sert à ça. Les partenariats que j'ai tissés, qui auraient été impossibles à décrocher si je m'en étais occupé un mois avant la première, servent à ça. Et tout du long, je raconte ce que je fais aux gens du théâtre. Pas pour frimer. Mais pour que si tout ça fonctionne, ça leur donne des idées. Avec Internet, on a la chance d'avoir encore un moyen de communication global qui permette de faire gratuitement de la publicité... à condition d'être bien implanté. Quelque part, j'ai commencé le lancement de ma nouvelle pièce il y a un an et demi, avec la création de ce blog. J'ai un genre de 250 visiteurs uniques par jour, ça n'arrive pas en trois minutes.
Evidemment, il y a toujours la possibilité que tout ça ne fonctionne pas. Dans ce cas, il restera toujours l'option suicide collectif. Mais je suis persuadé qu'il reste au Café de la Gare une aura et un public qui est toujours attentif à ce qui se fait chez nous. Une telle préparation n'aurait pas forcément d'effet dans un autre théâtre, mais on est par exemple un des rares salles où les gens viennent sans réserver, comme ça. On est excellement situés et on est relativement pas chers. Avec un minimum de communication, il n'y a pas de raison que nos spectacles ne marchent pas autant que les spectacles de l'extérieur, voire mieux quand les gens auront accès à cette information : les "vrais" spectacles du Café de la Gare, créés par le Café de la Gare, ce sont les nôtres.
Bon, c'est bien joli tout ça, et ça fait déjà une grosse tartine de texte, mais ça n'explique pas vraiment pourquoi je me sens obligé de parler régulièrement de moi, de mes voyages, de ma tite chérie que j'aime... là, on retombe dans le paradoxe : je suis peut-être celui qui a le moins envie de s'exposer au Café de la Gare, et je me retrouve à le faire plus que les autres. En fait, c'est simple, on se prend au jeu du blog. Je me dis que c'est bien qu'il soit régulièrement mis à jour, et entre les infos théâtre, les infos comics, les critiques ciné, DVD, high-tech, séries télé, et bien sûr les articles sur la traduction, il y a déjà pas mal de matos. Mais de temps en temps, oui, je me retrouve à parler de ma vie. Parce que je suis nul pour téléphoner aux gens et que je me dis que c'est un moyen pour ceux qui me connaissent de savoir ce que je deviens. Parce que c'est devenu un peu trop naturel de laisser ma vie déborder ici... même si je reste très vigilant sur ce dont je parle ou pas. L'article sur les travaux du Café de la Gare est par exemple une version très épurée de ce que j'aurais pu écrire, vu comme j'étais remonté, mais je voudrais pas créer d'ennuis au théâtre... et même si le présent article évoque des différences de point de vue avec mes parents quant au montage des spectacles, je n'ai jamais étalé nos désaccords, quand il y en a eu, sur la place publique. Ou alors très discrètement. Je garde évidemment les plus beaux moments avec ma tite chérie pour moi, et je ne parle pas systématiquement de tout ce qui me tracasse ou m'emplit de joie. C'est un équilibre à trouver, c'est sûr. Pas évident, et je suis sûr que de temps en temps, je bascule un peu dans le narcissisme qu'évoque l'article de Marianne.
Mais c'est peut-être aussi pour ça que j'essaie d'alimenter souvent ce blog. Pour qu'un article chasse l'autre. Pour qu'aux yeux des non-assidus de ces colonnes, il ne reste que les liens importants de cette page : ceux qui annoncent les spectacles dans lesquels je joue, et celui qui mène à la checklist qui permettra à ceux qui apprécient mes traductions comics de savoir quels autres albums j'ai traduits. Pour que le reste ne soit qu'éphémère littérature.
(Photo de Céline Niezsawer)