
Aaah, les adaptations de romans. C'est un peu l'équivalent cinématographique d'une guerre nucléaire : on a beau essayer de viser le plus juste possible, on ne peut jamais vraiment gagner parce que le type en face a déjà le doigt sur le bouton en attendant que vous lâchiez votre bombe. Oui, c'est un peu pourri comme comparaison. Mais c'est moi qu'écris.
Oui, je parle ici d'adaptation de roman, parce qu'en ce qui concerne Alan Moore, le défi d'une adaptation est le même que pour un roman. Une adaptation normale de comics de super-héros est de fait une condensation, une réinvention de l'oeuvre, puisque personne n'ira imaginer que le premier film
Spider-Man va compiler quarante ans d'aventures, ni se contenter de raconter le premier épisode en une heure et demie. Pour un roman, il y a toujours l'espoir fou (et irréaliste, d'ailleurs) que la totalité de l'oeuvre puisse être condensée en un film, en conservant tous les thèmes et toutes les nuances. Mais ça, vraiment, c'est pas possible.
Et même pour ce qui est de la fidélité à l'oeuvre, c'est quelque chose que je trouve très surévalué.
Shining est une trahison de Stephen King mais c'est un des films les plus terrifiants qui soient,
La Planète des Singes n'a pas la même fin que le bouquin de Boulle est pourtant dieu sait qu'elle est devenue mythique, et j'ai adoré
Slumdog Millionaire, dont on me dit que c'est une pantalonnade comparé au bouquin... je suis de ceux qui essaient de prendre l'oeuvre cinématographique en tant que telle, en essayant du mieux que je peux de me débarrasser du bagage de mes préjugés. Ce qui n'est pas toujours facile, hein. Mais pour moi, un film doit être jugé sur ses propres mérites, ses propres défauts. Après on peut discuter du côté adaptation, mais après. D'abord, laisse-moi regarder le film.
Mais pour un truc comme
Watchmen, ça m'a toujours paru complètement inconcevable que le film couvre la totalité de ce qui se passe dans le bouquin, qu'il puisse conserver le nombre ahurissant de couches, de niveaux de lecture, de sous-textes que propose l'oeuvre. Tout ce que j'espérais, c'est que ce soit un bon polar avec des super-héros psychopathes dedans, que le film propose une autre vision des super-héros, qui montre à monsieur tout-le-monde ce qu'on peut faire d'autre avec ce genre là. Qu'il respecte la vision au premier degré que peut avoir un lecteur lambda du
Watchmen d'Alan Moore s'il se farcit tout d'un coup et n'a pas de connaissance super-héroïque. Dit comme ça, ça simplifie quand même vachement l'équation.
Watchmen est le premier comic que j'ai fait lire à ma chérie (oui, j'y ai peut-être été un peu fort sur ce coup là) et il a fallu qu'elle s'accroche, je n'imagine pas ce que ça aurait été si je lui avais demandé de tout lire d'un trait. Et ça n'aurait pas eu beaucoup d'intérêt.
Je passe un peu trop de temps sur ce préambule, parce que le côté monomaniaque de certains fans des oeuvres adaptées me gonfle un peu. J'en avais un peu plein le cul d'entendre parler de l'absence de "squid" avant la sortie du film, par exemple. Et à peu près trois minutes après le début du film, quand on voit (tout petit spoiler) le Comédien abattre Kennedy (fin du tout petit spoiler), j'ai entendu un type trois sièges à côté de moi se précipiter sur son voisin pour dire "c'était dans la BD, ça ?". Tellement vite que je suis intimement persuadé que le type était déjà au courant que ce passage existait, et qu'il était prêt à se jeter goulûment dans la brêche, sabre au clair. Le doigt sur le bouton, je vous dis. J'ai vite occulté le côté droit de mon champ auditif, donc, pour me concentrer sur l'écran devant moi. C'est un peu comme ces tarés qui vont voir une adaptation de
Phèdre le texte original à la main, qui suivent au fur et à mesure et qui émettent de petits "pff" exaspérés dès que le texte s'écarte de la version originelle. Alors qu'on a parlé dès le départ d'adaptation.
Bon, histoire d'avancer un peu, tout ça pour dire que j'espérais juste que ce soit un bon film qui conserve certains des thèmes du comic-book. Comme
V pour Vendetta, par exemple, que j'ai vachement aimé, ou même
From Hell, que j'ai trouvé pas mal. Pas comme
la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, à qui j'avais envie de mettre des baffes.
J'ai eu vachement mieux que ça.
En plus, j'étais pas spécialement chaud que ce soit Zach Snyder aux commandes. Le type m'est toujours apparu en interview comme un hype-man surcoké et un peu prétentieux, j'ai pas vu
l'Armée des Morts qui traine sur mon étagère depuis deux ans, et
300, comme je l'ai dit ici il n'y a pas très longtemps, m'avait agacé par son excès de testostérone. Ce dont je me disais que ça tenait beaucoup à l'oeuvre originelle, mais bon.
Il y a des trucs dans
Watchmen qui m'ont vraiment, vraiment scotché. Le Comédien et Rorschach, superbes. La réalisation en général (moins quelques points sur lesquels je reviendrai) et sa finesse, sa poésie parfois, surtout comparé à
300. La structure vraiment similaire au bouquin, alors que j'imaginais mal le côté "chapitres", avec à chaque fois un focus sur un personnage, fonctionner en film (Les deux heures quarante filent à toute blinde, d'ailleurs). Surtout, ce qui m'a mis sur le cul, c'est effectivement tout ce qui est resté du bouquin de violent, de sombre, de glauque, de drôle, de psychédélique, de complètement anti-commercial.
Et c'est là où je veux en venir : ce truc est un suicide commercial. J'ai du mal à concevoir que Warner ait accepté de mettre 150 millions de dollars dans un truc sans vedettes, aussi adulte dans la forme (sans parler du fond), aussi long et autant dénué d'action. Et je les applaudis des deux mains pour avoir eu les couilles d'aller jusqu'au bout du truc.
Bon, c'est là que les puristes vont intervenir pour dire que non, ils ne sont pas allés au bout du truc, et c'est vrai que c'est sur la fin qu'il y a les plus gros changements. Mais encore une fois, j'ai occulté la version comics de mon cerveau en regardant le film et j'ai pris le film tel qu'il était, et je l'ai apprécié jusqu'au bout. Oui, il y a des trucs que je regrette par rapport à la fin, d'autant qu'ils n'étaient pas hors d'atteinte tant tout le reste était bien joué. En essayant de ne pas spoiler, je regrette qu'on ne voie pas plus précisément les résultats du "plan final" (alors que le reste du film rechignait si peu à être gore), je regrette que les personnages soient moins antipathiques dans la dernière scène qu'ils ne l'étaient dans le bouquin, je regrette que le dernier plan ne soit pas plus ambigü (dans le livre, j'avais un vrai doute quant à savoir quel courrier allait choisir le gros au smiley), je regrette que le dernier échange entre Ozy et Manhattan ne ressemble pas plus au bouquin. Alors que tout ça était possible. Mais je trouve malgré tout que la fin fonctionne, si du moins on ne surintellectualise pas la chose en fouillant le dernier chapitre du bouquin pour en sortir toutes les thématiques. Puisqu'on en est dans les critiques, j'ai moins aimé les scènes d'action, où on retrouve la réalisation un peu ostentatoire de
300, le côté post-
Matrix. A peu près toutes ces scènes-là sont dans la bande-annonce, cela dit. Et puis j'aurais pu faire sans les quelques clins d'oeil de Snyder pour dire "oui, c'est moi qu'ai fait 300" (genre le gros plan sur la porte de la chambre au début). Le gars se la pète quand même un peu. Mais ça n'a certainement pas suffi à m'empêcher de kiffer.
Et puis franchement, s'il y en avait qui pensaient que le film serait en l'état aussi fidèle à l'oeuvre de Moore avant sa sortie, je leur tire mon chapeau. Parce que perso, je m'attendais à beaucoup, beaucoup plus d'édulcorations.
Non, vraiment, je suis content, et j'attends de voir ce qu'apportera la version longue avec impatience. Ma chérie, elle, a mieux compris l'ensemble cette fois-ci, et a d'une manière générale préféré le film, plus accessible. Elle a elle aussi été scotchée par les performances du Comédien et de Rorschach, mais pense aussi qu'elle maîtrise davantage les codes du genre que quand je lui ai fait bouffer l'ouvrage il y a quelques années. Perso, je m'y replongerai sans doute bientôt (dans le livre), tout de même... car j'ai bien pris garde, comme d'habitude quand il s'agit d'adaptations, que le souvenir du livre soit le plus flou possible avant de voir le film.
(Image Copyright Vichniniuk)