
J'adore comme les journaux d'information sont objectifs et indépendants de nos jours. J'ai trouvé ça génial comme ils ont à toute force essayé de nous vendre l'idée hier que nous avions eu droit à un 14 juillet "de crise", la preuve étant qu'il n'y avait que 5000 personnes invitées à la Garden Party élyséenne au lieu des 7000 habituelles. Ouh, bel effort. Dommage que ce soit suivi par un reportage sur le feu d'artifice parisien le plus fastueux de ces dernières années (pour fêter la Tour Eiffel, paraît-il) et un autre sur le concert de Johnny (pour fêter les beaufs, sans doute), devant coûter deux millions d'euros au ministère de la culture, remise en état de la pelouse du Champ de Mars non comprise. Je recommande à ceux que cette forme de journalisme attriste autant que moi la lecture du Marianne de cette semaine, en particulier l'article "Y a-t-il encore une presse d'opposition ?".
C'était une parenthèse, ça faisait longtemps. Sinon, je me suis aperçu qu'il y avait presque un an depuis le dernier "numéro" de
Perdu dans la Translation. Bon, c'est normal que les sujets d'articles se fassent plus rares au bout d'un moment, mais tout de même. Je voulais donc que ce nouvel opus soit une forme de bilan. Voilà maintenant quelques années que je traduis des comics pour Panini de façon assez intensive, alors quel est mon état d'esprit aujourd'hui ?
Il arrive souvent à certains de mes collègues... davantage ceux qui gèrent tout ce qui entoure la vente et la communication que ceux qui ont vraiment le nez dedans... de me demander si je n'en ai pas parfois marre de traduire des comics. Sans se rendre compte que c'est un peu comme me demander si je n'en ai pas parfois marre de jouer au théâtre... ou d'aller au cinéma, ou de manger des gâteaux, même. Je me suis battu près de dix ans pour pouvoir traduire des comics, et c'est en connaissance de cause. J'arrive à me saisir des meilleures séries, et je m'éclate. Il faudra arracher ce taf à mon cadavre et je compte bien être taxé de sénilité et d'obsolescence par les jeunes générations de lecteurs qui voudront me piquer la place, dans quelques décennies. Voyez comme je suis optimiste, je prétends que les jeunes du futur sauront toujours épeler "obsolescence".
Cela étant dit, et plus particulièrement quand j'arrive au bout d'un mois aussi intensif que la période qui vient de s'écouler, au cours de laquelle j'ai traduit quelque chose comme 1200 pages, il m'arrive de douter. Plus précisément, il m'arrive de m'inquiéter d'être trop près d'un seuil critique au-delà duquel la routine alliée à la quantité nuirait à la qualité de mes traductions.
Elle a parfois du bon, la routine. Il y a des choix qui me paraissent aujourd'hui évidents et sur lesquels j'aurais pu passer un bout de temps il y a quelques années. Je ne sais pas si j'aurais pu abattre la quantité de travail que je viens d'abattre dans le même laps de temps, à l'époque. Je reste également très vigilant pour que la routine ne me donne pas une confiance excessive en moi : Je continue à chercher les références dès que j'ai un micro-doute (c'est tellement facile avec Internet) et je ne transige jamais sur ma méthode de travail. Relecture à la fin de la traduction d'une bulle, à la fin d'une page, à la fin de l'album.
Mais bon, ça ne m'empêche pas d'avoir peur des automatismes. Au stade où j'en suis et avec ma méthode, je pense que c'est le plus gros danger. Ce que j'appelle l'automatisme, c'est une traduction qui me paraît évidente au moment où elle me vient en tête alors qu'elle utilise un mot pour un autre. La phrase qui sonne bien, qui est bien construite, mais qui est en fait à côté de la plaque. Et ce qui me fait peur, c'est de ne pas repérer ce genre de phrase à la relecture. En effet, quand je relis, je ne m'arrête d'instinct que quand le texte que je lis ne me semble pas "sonner bien", ce qui me pousse parfois à revenir sur une phrase correcte simplement parce que je la trouve un peu laide et que je me dis qu'il doit y avoir mieux. Mais dans les cas où j'ai, par exemple, 1200 pages à relire, j'ai peur de glisser - plusieurs fois, puisque je relis plusieurs fois ! - sur une erreur énorme, parce que je suis un tout petit peu moins concentré et que mon cerveau a inconsciemment "validé" l'erreur. D'autant que c'est le genre d'erreur qui, pour les mêmes raisons, a toutes les chances de survivre à la relecture des correctrices Panini.
Voilà ce qui angoisse le désormais vétéran que je suis. Pour le moment, je ne crois pas que ce soit arrivé... mais ça arrivera très probablement, un jour ou l'autre, c'est inévitable. Espérons que ce soit sur un truc pas trop grave, genre un épisode de
Hulk.
Ah, et puis il y a un autre inconvénient à cette masse de travail, pour ce qui est du kiosque : Je n'ai pas toujours la possibilité d'avoir une vision à long terme. Il est assez facile pour des séries comme
Preacher, que j'ai lues 150 fois, de faire mes choix de traduction en connaissance de cause, vu que je sais où et comment les termes seront utilisés ensuite... C'est moins évident pour les séries kiosque. J'essaie d'avoir toujours lu quelques épisodes d'avance, mais parfois, je dois avouer que je traduis l'épisode du mois sans savoir ce qu'il va se passer ensuite, ou dans quel contexte un terme que j'ai traduit sera réutilisé. Je pense à un exemple récent, celui du "Darkhold" qui va apparaître dans la nouvelle série
Mighty Avengers de Dan Slott. C'est le genre de terme que je veux absolument traduire (vous me connaissez un peu, maintenant) et je suis parti sur "Grimoire Obscur"... Le souci (dont je ne m'étais pas rendu compte à l'époque puisque je n'avais pas pu lire l'épisode suivant), c'est qu'on parle ensuite du "Darque Hold", l'endroit où est entreposé le "Darkhold". Et on joue évidemment sur la ressemblance phonétique dans une bulle. Bon, en l'occurrence, c'est une difficulté que je pense contourner, parce que je n'ai pas vraiment de meilleure idée pour "Grimoire Obscur"... et à vrai dire, je ne regrette pas de n'avoir pas lu l'épisode suivant avant, ça aurait pu me bloquer. Pour traduire "Darkhold", je me suis basé sur ce dont il s'agit exactement et sur ses précédentes apparitions, ça me paraît être l'essentiel. Je n'ai pas encore traduit l'épisode suivant (c'est ma prochaine trad), mais je trouverai bien une solution. J'ai le temps, maintenant, je suis passé de super en retard à super en avance en une semaine. C'est ça, d'avoir pris un rythme un peu cinglé.
Hé, vous savez quoi ? Il y a déjà une petite tartine sur cette page, et je n'ai même pas attaqué le petit "Best Of" de mes traductions que je comptais faire en commençant cet article. Vous savez ce que ça veut dire ? Un autre
Perdu dans la Translation la semaine prochaine !
Mais je finirais bien cet article par une petite anecdote, qui me permettra de remercier un camarade. J'ai en effet vu que mes propos dans l'article de la semaine dernière à propos de
Final Crisis avaient été repris ici ou là, et ça m'a donné l'impression que ça valait le coup de revenir dessus un peu plus précisément. Pour mémoire, j'indiquais qu'à mon sens, les multiples références de la saga ajoutaient au plaisir de lecture si on les repérait, mais que les ignorer ne signifiait pas qu'on n'allait rien biter à l'histoire. Plus clairement, Grant Morrison utilise surtout des personnages très obscurs de l'univers DC que ne connaîtront que les gros, gros fans (comme il doit y en avoir trois en France), mais le lecteur lambda peut lire et apprécier (beaucoup) l'histoire du moment qu'il ne se demande pas sans arrêt "c'est qui, celui-là" ou "je suis sûr qu'il me manque des infos". Et j'ajoutais que c'était plus dur pour moi de ne pas passer à côté de ces références (pour les trois lecteurs dont on vient de parler) que pour vous de lire la BD paisiblement.
Exemple : Oui, le bonhomme blond avec les cheveux longs qui apparaît de temps à autre au cours de l'histoire est bien
Kamandi, The Last Boy on Earth, créé par Kirby. Dans le premier épisode, il rencontre Anthro, le premier homme de Cro-Magnon, créé par Howard Post. C'est assez cool de le savoir, ça rajoute une couche d'intérêt, vous êtes sûrement ravis de l'apprendre, mais ça n'est en rien essentiel à la compréhension de la scène. Là où je ne suis pas logé à la même enseigne, c'est que j'ai tout intérêt, moi, à savoir ça pour éviter de faire des bêtises et être sûr de comprendre ce que je traduis. C'est un très léger spoiler, mais dans la suite de
Final Crisis, on évoque un laboratoire d'expérimentation d'armement, nommé en anglais "Command-D". Arrivant dessus et pensant que c'était la première fois que le terme était évoqué, je me suis dit que ça allait peut-être resservir, et j'ai traduit par un simple "Centre D". Je l'ai ajouté au Fichier Commun, et c'est là que l'excellent Jérôme Wicky (sans doute un peu trop geek pour son propre bien, mais c'est un autre débat) m'a envoyé un mail pour me dire "Command-D, c'est pas le labo souterrain où grandit Kamandi ?".
Il se trouve que je connais les grandes lignes concernant Kamandi (The Last Boy on Earth s'explique de lui-même) mais que je n'ai pas lu ses différentes apparitions. Et j'étais complètement passé à côté de cette référence : "Command-D" est l'endroit qui va donner son nom à "Kamandi". C'est une "erreur" à côté de laquelle vous seriez a priori tous passés si je l'avais faite, mais c'était dommage de passer à côté de la référence. J'ai donc demandé à changer ma traduction, et "Command-D" est désormais traduit par "Commanderie", beaucoup plus proche phonétiquement de "Kamandi". Alors, évidemment, j'attends les commentaires à cet article demandant pourquoi je n'ai pas laissé simplement "Command-D", mais je suis traducteur, bordel. Je raconte quoi dans mes articles si j'évite toutes les difficultés en laissant tel quel ?
En tout cas, merci à Jay Wicky pour la parade, et bonne lecture aux fans de DC : Entre
Final Crisis et
Trinity, ce mois est celui de DC, et c'est assez rare pour être remarqué !
(Image Copyright DC Comics)