
Lors de mon dernier
Perdu dans la Translation, quelqu'un m'a demandé s'il y avait des contraintes différentes, selon que je traduisais pour le kiosque ou la librairie. La réponse est oui, mais c'est plus le résultat de quelques années qui ont permis de déboucher sur un consensus, qu'une demande directe de Panini.
La principale "pomme de discorde", pour utiliser un terme un peu extrême vu que les conversations à ce sujet ont toujours été tout à fait calmes et posées, c'est le problème des gros mots et / ou des blasphèmes. Beaucoup de gens travaillant pour Panini sont en Italie, et je ne sais pas si c'est la proximité du Vatican, mais ça les rend souvent beaucoup plus sensibles que nous à l'utilisation d'un "bon dieu" qu'ils jugeront blasphématoires, alors que je ne vois pas un français nous attaquer pour ce terme finalement gentillet. Ou alors c'est moi qui suis complètement à côté de la plaque.
Là, j'utilise exprès le terme le plus surprenant, sans doute, sur lesquels on m'ait fait des remarques, mais c'est anecdotique. Derrière ça, il y a toutes les utilisations des "merde", "putain", "bouffe la chatte de ta mère sale bougnoule" et autres joyeusetés qu'on peut parfois croiser au détour d'une page d'un titre Vertigo.
Les discussions sur ce genre de "problème" ont régulièrement eu lieu, mais il me semble que le moment où on a mis sérieusement ça sur le tapis coïncide avec la période où j'ai eu la surprise de voir dans les pages d'un
Preacher qu'un "nègre de mars", tel que je l'avais traduit (expression qu'on retrouve souvent dans la bouche du père de Tête de Fion), était devenu un "noir de mars" sans qu'on m'en ait prévenu. J'ai pensé que celui-ci avait attiré l'attention parce qu'il était tout seul sur la page, en gras et en écrit plutôt gros... mais la correction était absurde, de bien des façons. D'abord, parce que l'expression apparaissait deux ou trois autres fois dans l'album (et encore davantage dans le premier volume de
Preacher) ; ensuite parce que nous sommes dans la gamme Vertigo, donc Pour Lecteurs Avertis, et dieu sait que si ce genre de terme commence à être un problème, autant se débarrasser tout de suite de la licence ; enfin que nous sommes de toute façon dans une collection librairie et qu'on sait bien qu'il ne faut pas aller bien loin dans les rayons BDs d'une FNAC pour trouver un niveau au moins équivalent de grossièreté (ou de nichons) sans que ce soit un problème. Enfin bref, s'en est suivi une assez longue discussion où j'ai fait valoir l'existence de différents "compartiments" dans les publications Panini. Et au final, s'il y a la distinction "super-héros" / Vertigo & Co, il y a surtout la distinction kiosque / librairie. Et je comprends pour le coup tout à fait que ce soit dérangeant pour les pontes de Panini d'avoir des BDs en kiosque, souvent rangées à côté des Mickey (et c'est pas près de changer, du coup, hein), arborant fièrement des "merde" dans la bouche d'un super-héros.
J'ai donc proposé la règle suivante : on fait ce qu'on veut pour la librairie, mais en kiosque, on évite les termes qui fâchent... ou si l'on doit vraiment en passer par là, on fait comme aux Etats-Unis, en utilisant des "m£$%e" et des "p£$%in". Ca, apparemment, ça ne choque personne, ce qui en soi pourra en choquer d'autres, certes, mais c'est ce qu'on appelle un consensus, et il a le mérite de nous permettre de traduire plus fidèlement. D'ailleurs, c'est aussi un procédé que j'ai parfois utilisé en librairie, notamment pour Promethea. Alan Moore ayant choisi d'utiliser des "s£$%" et "f£$%" en VO, alors que le contenu de la BD est évidemment Pour Lecteurs Avertis, j'ai pris ça comme un choix délibéré, et je me suis aligné à la traduction.
Voilà, j'avais promis de répondre à cette question, voilà qui est fait. Faut pas hésiter, d'ailleurs, à me demander des choses sur mon travail, ça ne peut que me donner des idées d'articles pour de futurs
Perdu Dans la Translation. Mais pour l'heure, revenons au Best Of que je voulais déjà compiler il y a un mois et demi.
Cette liste de cinq albums est mon Best Of en tant que traducteur. Il ne prétend pas être une série d'incontournables... enfin, les albums le sont, mais c'est pas pour ça qu'ils sont là. C'est un mélange de goût personnel, du défi qu'a représenté la traduction, de ce qu'a signifié l'album dans ma petite carrière de traducteur, d'affection particulière et de fierté personnelle... C'est à la fois les albums que j'aurais envie de faire lire à quelqu'un qui découvre les comics, et ceux que je choisirais de mettre en avant si je devais donner un exemple de mes traductions. Alors évidemment, à chaque fois, je ne peux que recommander de lire toute la série qui va avec, et de commencer par le premier volume, forcément. Cette liste de cinq albums a été assez difficile à compiler et ça a été très douloureux de ne pas y faire apparaître certaines séries, ce qui démontre s'il en était besoin que j'ai été extrêmement bien servi depuis mes débuts de traducteur. Le top kiosque, que je publierai prochainement, a été beaucoup plus facile à faire pour la simple raison que je me suis occupé de beaucoup moins de séries.
Mais allons-y, donc :
5. HELLBLAZER CULT 2 - LE DIABLE PAR LA QUEUE
Je ne connaissais pas bien John Constantine avant qu'on me confie sa traduction. J'avoue, je l'ai même découvert avec le film (qui vaut bien mieux que ce qu'on dit, hein, une fois qu'on oublie le coup du chewing-gum à la fin). Comme à son habitude, Mike Carey dans les albums 100% jongle admirablement avec le court terme et le long terme, et les albums de son run formeront un tout sans doute très satisfaisant. Ca semble d'ailleurs avoir convaincu les fans, puisque les albums se vendent. Les albums de la collection Cult, reprenant les tous premiers épisodes de la série, ont plus de mal à trouver leur public... et ça fait bien chier, parce que c'est tout bonnement excellent. Certes, le graphisme n'est pas très glamour, certes le contexte est très daté, mais on ne trouve pas beaucoup mieux dans le genre horrifique. Si ce deuxième album trouve sa place dans ce top 5, c'est surtout grâce (à cause ?) de l'histoire "Le Maudit Saint", qui m'a donné des sueurs froides par sa difficulté. Du point de vue du langage, l'histoire se place ouvertement dans la continuité directe du film
Excalibur de John Boorman, un de mes films fétiches. Ca veut dire beaucoup de poésie, des rimes, de la puissance narrative et des envolées lyriques. Cette quarantaine de pages m'a donné plus de fil à retordre que
Promethea, pour dire. Je sais que la plupart des gens qui ont lu l'album ont une préférence pour l'épisode illustré par David Lloyd, sans doute plus facile d'accès, mais pour moi, "Le Maudit Saint" est un chef-d'oeuvre de mysticisme et d'étrangeté, formidable dans la façon dont les thèmes de l'époque arthurienne recollent finalement à ceux du prologue, qui peut paraître au départ incongru. Hélas, les faibles ventes font qu'il n'y aura pas de volume 3 en 2010, mais que cela ne vous empêche pas de lire ces deux tomes : ils forment un tout et qui sait, leur succès sur le long terme pourrait ressusciter la gamme ultérieurement. (Je réalise que c'est sans doute la première mauvais nouvelle officielle pour 2010, au fait... Navré.)
4. PREACHER 2 - JUSQU'A LA FIN DU MONDE
Je crois qu'on était en 1999, et que je ne connaissais pas Sébastien Dallain depuis beaucoup plus d'un an, quand je lui ai demandé pour la première fois "Pourquoi on ne publie pas
Preacher, c'est la meilleure série du monde ?". Nous voilà dix ans plus tard, et j'ai d'ores et déjà traduit les deux-tiers de la saga, qui devrait se conclure en 2011. Il fallait forcément que la série fasse partie de mon top 5. Elle n'est pas particulièrement difficile à traduire : elle joue sur mes forces, les dialogues, et je l'ai tellement lue que j'ai déjà des passages entiers du dernier volume traduits dans ma tête. Si c'est une de mes séries préférées de tous les temps, curieusement, ça n'est pas grâce à tout ce qui fait habituellement le talent de Garth Ennis et Steve Dillon (les personnages et les dialogues provocants pour l'un, l'expressivité des visages pour l'autre, l'humour du tandem) mais c'est sans doute l'immense âme de la série.
Preacher bascule parfois dans un soap apocalyptique qui me touche au coeur, et propose dans cette ligne l'une des meilleures fins de séries au monde (comics et télé confondus). Et on sait à quel point la longévité d'une série dans l'inconscient collectif dépend de sa fin. J'ai choisi ce deuxième volume parce que c'est celui où le ton qui m'a conquis dans la série apparaît le plus évidemment.
3. TRANSMETROPOLITAN 1 - LE COME-BACK DU SIECLE
De la même façon que
Preacher,
Transmetropolitan fait partie des séries auxquelles je m'attelle comme on s'enfile un pot de Nutella. Des dialogues percutants, c'est de loin ce que j'ai le plus de facilité à traduire. Mais si
Transmet dépasse
Preacher au finish dans ce top 5 (alors que sur la longueur, je pense tout de même préférer
Preacher), c'est pour une raison simple : Je n'avais pas cherché à "bogarter" la série, parce que je ne l'avais jamais lue. J'étais complètement passé à côté lors de sa première publication VO. Je ne devais donc pas traduire
Transmetropolitan. Le (ou la) collègue qui devait au départ traduire la série a eu des soucis personnels qui l'ont empêché de s'y mettre et j'ai récupéré le tome 1 en dernière minute. Et je suis complètement tombé amoureux de la série. C'est pour ça que c'est le premier tome que je place ici, pour la découverte que ça a été pour moi. Et bien sûr, les relations que j'ai nouées depuis avec Darick Robertson, qui a dessiné l'affiche de
A Suivre, renforcent encore mon affection pour la série.
2. PROMETHEA TOME 4
Oui, le dernier volume va sortir. En février. C'est sûr, c'est signé, c'est certain. C'était sans doute mon plus grand combat de l'année, je suis soulagé. Il me paraissait inconcevable qu'on s'arrête à quatre épisodes de la fin de la saga. Comprenez que ça n'a pas été un combat facile : Ca se vend pas terrible,
Promethea. C'est rien de le dire. Et j'ajouterai même : je comprends pourquoi. J'avais lu un ou deux numéros à l'époque, j'étais largué. J'avais récupéré le premier volume Sémic, je n'étais pas rentré dedans. Quand on m'a confié la traduction du premier volume estampillé Panini, le volume 4, j'étais plein d'un enthousiasme réflexe (Moore !) fortement tempéré par un doute intense (Promethea ?). J'ai déjà parlé de ce volume dans
Perdu Dans la Translation, d'à quel point il m'a fallu m'immerger dans l'univers et les thèmes de Moore. Il m'a fallu aussi me convaincre de mettre le pied dans un truc qui me semblait un peu trop religieux, moi qui ai horreur de ça... et puis, forcé de décortiquer chaque phrase, chaque référence, chaque idée de l'album (qui est de toute façon le meilleur de la saga), je n'ai pu qu'être aspiré, séduit, convaincu, submergé... hanté, même. Ca se mérite de lire
Promethea, mais aller au bout de l'expérience est immensément gratifiant. Alors maintenant que tu es sûr que le dernier volume sortira, grosse flemme de lecteur, tu vas me faire le plaisir de te faire offrir la collec à Noël, ou au moins de lire un volume entièrement, sérieusement, attentivement. Et ose après revenir me dire que c'est pas un truc énorme.
1. Y LE DERNIER HOMME 10
C'est en général en haut de ses "tops" qu'on a les choix les plus subjectifs, les moins ouverts à discussion, les plus affectifs. Je suis tombé amoureux de l'écriture de Vaughan sur cette série, de son univers, de ses personnages, de ses tics d'écriture, même. J'ai adoré traduire la série, non seulement parce que j'avais dévoré la série en VO, mais aussi... parce que justement, je l'avais dévorée. Vaughan est extrêmement fort pour installer une tension, un suspense, des cliffhangers de malade, et quand je suivais la série tous les mois, c'était très dur de ne pas lire ma dose mensuelle à toute blinde. Ainsi, j'ai parfois survolé certains passages importants, certains épisodes anecdotiques, alors qu'ils sont aussi essentiels que les autres à une trame de longue haleine parfaitement maîtrisée de bout en bout. De ce point de vue, traduire la série m'a permis de la redécouvrir plus posément. J'enfonce le clou en choisissant pour représenter la série le dernier volume, qui ne sortira qu'en avril et que je n'ai même pas commencé à traduire. On parlait un peu plus haut de fins réussies ? Le dernier volume d'
Y est absolument sublime, et incontestablement le meilleur de la série. Et c'est pourtant une fin qui, par bien des aspects, est aux antipodes de celle de
Preacher. Et puis merde, ça fait partie des "comics que ta copine peut lire". Mais bon, comme tous ceux de ce top 5, en fait.
Je réalise d'un coup que mon top 3 est entièrement composé de séries qui s'achèvent cette année. Elles vont me manquer. Je compte d'ailleurs lancer une nouvelle rubrique en 2010, pour revenir plus longuement sur ces séries "complètes". Je suis impatient de voir si je vais hériter de nouvelles séries cette année, du coup ! (dit-il alors qu'il a même pas fini son dessert)
Ouh, dis donc, il est long, cet article. Mais une dernière chose, pour les chasseurs d'indices : "Le pla... orial de jan... avec p... les deux premiers mois de l'année, et... go (Sca... rs et Sw... g). Nous assisterons ég... résur... Monster / Big Book, avec un n... En janvier et février, trois albums seront concernés... nsi qu'un Big Book consacré à Jo... crés aux X-Men : Noir et... g Av... un ouvrage très atypique dédié..."
(Image Copyright DC / Vertigo)