
Avant tout, un petit erratum sur un truc dont sans doute personne ne s'apercevra si je n'en parle pas. Ca se passe dans l'album
Captain Britain dont je vous ai déjà parlé
ici et dont j'en profite pour vous le recommander chaudement une fois de plus.
Quand on traduit du Alan Moore, il faut être paré à aller chercher des références un peu partout, au risque parfois - peut-être - d'en trouver là où il n'en a pas mis (on en reparlera). Un des nombreux Captain Britain présents dans l'album - oui, il y en a plusieurs - se nomme Captain Airstrip One : Il apparaît dans une seule case, mais Moore va jusqu'à préciser dans son intro que c'est un de ses préférés. Son unique réplique : "Capbrit ! Doubleplusgood usmeet !".
Bon, il me disait quelque chose, ce "doubleplusgood". Après quelques recherches, je retrouve la référence de la Novlangue, la langue futuriste imaginée par Orwell dans
1984 et dont le but avoué est d'appauvrir la langue. Airstrip One est le nom de l'Angleterre dans
1984. Souci : Dans la version française du roman - je suis allé vérifier - Airstrip One est remplacé par "Première Région Aérienne", ou un truc du genre (ah, c'est beau de ne pas avoir à tenir dans des bulles). Je sais pas vous, mais Captain Première Région Aérienne, ça me branchait moyen. Et puis quand ça rentre pas, ça rentre pas, comme disait la jeune mariée.
J'ai donc un peu fait l'impasse sur la référence : J'ai traduit la réplique du gars en respectant les règles de la Novlangue établies dans le bouquin, et j'ai laissé Captain Airstrip One. Comprenne qui pourra.
Quelques jours après avoir rendu ma traduction, cependant, l'idée évidente me tombe sur le coin de la tête : Une note de traduction pouvait facilement être glissée dans l'intro de Moore ! J'ai envoyé un mail pour demander d'ajouter "(Note du Traducteur : Airstrip One est le nom patati patata)" après la mention de Captain Airstrip One, et on m'a dit pas de souci. Je suis aujourd'hui passé vérifier dans une librairie que la correction avait bien été faite : La parenthèse n'apparaît pas, mais dans la bagarre, Captain Airstrip a perdu son "One" dans l'intro de Moore. Bon, c'est pas une cata non plus, mais je me suis dit que ça méritait une tite mention histoire que vous vous couchiez moins idiots ce soir. Appelez ça un "Translator's Cut".
Bon, c'est pas de ça que je voulais parler au départ. A mon sens, pour être traducteur, c'est franchement mieux d'être un peu auteur. Bien sûr, on peut protester que non, si on est auteur notre style risque de "prendre la place" de celui de l'auteur qu'on traduit, tout ça... mais pour de nombreux choix, j'estime qu'il faut avoir une bonne dose de sensibilité littéraire, le sens de la musicalité d'une formule par rapport à une autre, la capacité à donner des voix différentes aux personnages (on ne tombe pas forcément que sur des persos qui vous facilitent la tâche en disant "blaireau" toutes les trois phrases comme Kilowog). Et ce que j'appelle être un peu auteur, ça n'est pas autre chose.
Un bon exemple est celui du tutoiement / vouvoiement. Voilà tout un pan des rapports entre les personnages que le traducteur devra en général définir de lui-même, presque en marge du texte VO (sauf dans des cas où c'est évident, bien sûr). De plus, dans les comics, on travaille en général sur des séries qui durent, et certaines personnes qui se vouvoieront lors de leur rencontre finiront à un moment ou à un autre par se tutoyer. Et ça ne se traduit pas forcément en anglais par l'utilisation de petits noms (Mulder et Scully est le premier exemple qui me vient en tête).
C'est un truc auquel on va prêter une attention particulière, et pour bien faire, il est préférable d'avoir une bonne vision à moyen terme de l'évolution de la série.
Lorsque j'ai traduit le
Big Book Flash, par exemple, j'ai apprécié d'avoir une douzaine d'épisodes me permettant "d'installer" les rapports entre les gens. Bon, c'était une collègue qui traduisait les épisodes de DC UNIVERSE qui se déroulaient deux ans après, certes, mais entre-temps, la mémoire de tous les proches du héros avait été effacée, ce qui revient un peu à remettre les pendules à zéro pour ce qui est des tutoiements éventuels. Je me souviens de deux cas particuliers : d'abord, celui où Flash discute avec un vilain avant de s'apercevoir de la tragédie du gars (Fallout si mes souvenirs sont bons) et de s'adresser au père de famille qui est derrière le super-vilain. Là, j'ai décidé que Flash tutoierait le vilain mais vouvoierait le gars lorsqu'il comprend que c'est juste un pauvre type. Et vraiment, c'est une interprétation de ma part, rien dans la VO n'indique catégoriquement que ça doit se passer comme ça.
L'autre cas, c'était celui de l'Inspecteur Morillo, dont je me disais qu'à un moment ou à un autre Flash et lui finiraient par se tutoyer. J'ai choisi une scène à Noël où les deux personnages se confient un peu, parlent de Chyre, tout ça... et qui tombe de plus juste avant que Morillo se fasse dessouder par le Pillard.
Dans le même genre, mais un peu plus coton, le cas des trois protagonistes principaux de
Y : Le Dernier Homme. Là, j'ai regardé un peu où ils en étaient à la fin du volume 2 publié par Sémic. Bon, tout le monde se vouvoie. Mais là encore, je ne vois pas ça tenir longtemps, d'une part, et d'autre part je préfère lorsque le lecteur est témoin du passage au tutoiement, quand c'est possible. Là, c'est un goût perso, je trouve que ça enrichit la... continuité, je ne trouve pas de meilleur mot là tout de suite.
Histoire de me compliquer la tâche encore plus, je me suis dit que le vouvoiement devait tenir un peu plus longtemps pour le Dr Mann, plus pète-sec. A la fin du tome 3, Yorick et 355 vouvoient toujours Allison, mais je voulais qu'ils se tutoient entre eux. Ca aurait pu se faire dans le tome 2, à vrai dire, si 355 n'avait pas passé la moitié du temps dans le coma, mais déjà dans son sommeil, elle sussurait "je t'aime, Yorick"... ce qui me suggérait que leurs rapports devaient fatalement se détendre rapidement. J'ai donc choisi la prise d'otages du volume 3 - sans trop dévoiler l'intrigue - et la tension qui s'ensuit pour faire la bascule. Normalement, ça devrait passer comme une lettre à la poste. C'est le but recherché, en tout cas. Vous me direz.
Perdu dans la Translation 2 : Parlay voo that, mothafuckas !?
Perdu dans la Translation 1 : Nou3 plus maison
(Image Copyright DC)