Théâtre, comics et élucubrations diverses : Le Blog de Jérémy Manesse. (Toute rime est purement fortuite)
21 Novembre 2006
Et le vainqueur est... Christopher Nolan et son scénariste de frère. Ma tite chérie et moi sommes allés voir Le Prestige vendredi soir, et on est bien contents.
Bien contents d'être allés au cinéma, déjà. Un des premiers trucs qui changent quand on n'habite plus à Paris, c'est que chaque sortie théâtre ou cinéma devient une "sortie" au vrai sens du terme, à savoir un truc à organiser. En ce moment, nos semaines se découpent assez simplement : On est chez nous la semaine et à Paris le week-end pour jouer (il se trouve qu'on bosse tous les deux du vendredi au dimanche). Plus quelques allers-retours obligés dans la semaine.
Du coup, mes passages à Paris sont devenus des courses pour faire tout ce que je dois y faire en quelques jours seulement. Ca a un côté agréable - on n'a pas le temps de s'emmerder - mais point de vue cinéma, c'est un peu la tasse : Le dernier film qu'on était allé voir avant Le Prestige, c'était Miami Vice (le film de daube le mieux filmé du monde). Pour vous dire. Sans compter les séances qu'on se fait chez nous, bien sûr, qui sont plus nombreuses. (Ah, ma réflexion a évolué concernant la HD... Je vous en parle jeudi).
Enfin bref : Histoire de vous situer comment je me place en allant voir ce film, je devrais peut-être commencer par vous dire que Memento est un de mes films de chevet. Superbement écrit, construit, joué, réalisé... C'est un film que j'ai vu sept ou huit fois, dont deux fois dans le sens "chronologique" (disponible dans l'édition Collector du DVD et beaucoup plus intéressant à regarder qu'on pourrait l'imaginer au premier abord). Je pense avoir tout compris au film à la troisième vision (j'aime quand tous les éléments de réponse sont apportés mais ne sont pas exposés clairement... quand le spectateur doit bosser un peu, quoi). Ca fait partie des films que je peux me refaire n'importe quand.
Le Prestige a beaucoup de points communs avec Memento, ce qui peut être à la fois un bienfait ou un boulet. Je n'ai pas envie de voir un réalisateur faire deux fois le même film, et le risque était de faire quelque chose qui soit semblable mais inférieur.
En passant, cet article (non, je ne dirai pas de gros mots comme "critique") ne contiendra pas d'informations trop précises quant au contenu du film. C'est le genre de film où moins l'on en sait, mieux c'est. Si vous savez juste qu'il s'agit d'un film d'époque peignant la rivalité entre deux magiciens, très bien, n'allez pas chercher plus loin. Bravo en passant aux producteurs pour la bande-annonce, qui pour un coup ne raconte pas tout le film mais parvient à extraire suffisamment de sens pour intriguer.
Le premier point commun immédiatement visible entre les deux films de Nolan est le souci de la construction. Comme dans Memento, il faut quelque temps pour comprendre l'ordre dans lequel est raconté Le Prestige. Je sais qu'il y en a que ce genre de procédé agace - ma soeur, par exemple, a tendance à décrocher d'emblée si on ne lui explique pas dans quel ordre sont les scènes -, mais si l'on est patient, la récompense est à la hauteur de l'attente. Les deux films de Nolan sont comme un puzzle ou la dernière pièce posée serait celle du centre. Le "mystère" du Prestige est moins tordu que celui de Memento - on rentre chez soi avec toutes les clés - mais aussi satisfaisant.
A vrai dire, j'ai eu une longueur d'avance sur le film quant aux différents "coups de théâtre" dont il est truffé. Ca m'arrive assez souvent, à vrai dire, il est rare que je sois vraiment "soufflé" par un rebondissement. C'est le problème quand on écrit des pièces où l'on essaie de décortiquer les mécanismes des fausses pistes et des "pay-offs"... On a tendance à les détecter assez vite. Cela dit, je n'ai vraiment rassemblé toutes les pièces du puzzle que tard dans le film, suffisamment pour être malgré tout enthousiasmé, quelques détails m'ont vraiment pris de court, ma chérie n'a elle rien vu venir, et surtout, surtout : Comprendre le truc avant qu'on vous l'explique n'a ici que peu d'importance (contrairement à un truc comme Le Village, par exemple).
Car le vrai intérêt du film, c'est bien cette rivalité entre les deux magiciens incarnés par Hugh Jackman et Christian Bale (tous deux excellents). Il se trouve que je connais pas mal de magiciens, et il faut bien dire que c'est un milieu spécial. Même les plus sympathiques d'entre eux peuvent devenir de véritables chacals quand il s'agit de descendre un confrère. Et puis il y a cette notion du secret, de la mise en scène, du tour qu'il faut absolument trouver et qui révolutionnera le genre. Les magiciens sont des gens qui peuvent facilement se noyer dans leur art. Le film de Nolan décrit cela à merveille, poussant très, très loin la rivalité qui oppose les deux illusionnistes. C'est pour cela que les derniers instants du film demeurent forts même si on les a vus venir (et à vrai dire, il y a d'après moi une petite faute de goût sur la toute dernière image, qui amène comme un "gros coup" quelque chose qu'on a à priori forcément compris depuis cinq minutes). Beaucoup de films ont parlé de l'autodestruction qui peut venir avec l'art, mais pas par ce biais. Notre sympathie va tour à tour à chacun des magiciens, jusqu'à ce que...
Enfin voilà : Allez voir Le Prestige, vous ne le regretterez pas, je pense, surtout si vous aimez par dessus-tout une construction ciselée. Pour conclure, notons qu'il s'agit encore une fois d'une adaptation de comic (un Graphic Novel de Christopher Priest en l'occurrence) qui prouve que le médium propose bien davantage que des histoires de super-héros.
(Image Copyright Warner Bros)