Théâtre, comics et élucubrations diverses : Le Blog de Jérémy Manesse. (Toute rime est purement fortuite)
4 Décembre 2006
Oui, bon, je sais, je vous avais promis un retour sur images à propos de Captain Britain, mais l'actu a une nouvelle fois pris le dessus. On se rapproche, cela dit, puisque je vais quand même parler d'Alan Moore.
Il est sympa, Alan Moore. Il a des pièges tout neufs pour les traducteurs, qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Comme cette double-page de Promethea où les cases sont disposées en cercle et où le dialogue doit pouvoir être lu à la fois dans le sens des aiguilles d'une montre et dans le sens inverse. Sans même parler des innombrables références : J'ai passé plus de temps à faire de la recherche sur cet album qu'à traduire effectivement les cases. D'une manière générale, je dirais que ce volume de Promethea m'a pris trois fois plus de temps qu'un album normal. Je lorgne du côté de ma prochaine tâche, Planetary, et au vu de toutes les splash-pages, je me dis que ça va être la récré.
D'ores et déjà, Promethea décroche le record du temps qu'il m'aura fallu pour traduire deux bulles. Dans le Chapitre Trois et sans trop en dévoiler, Sophie Bangs et sa compagne de route découvrent la Sphère de Mercure, où elles ont un accès d'esprit. Dès qu'il y a un jeu de mots malin à faire, elles foncent... et le traducteur commence à se gratter violemment la tête en attendant de voir ce qui va lui tomber sur le coin de la figure.
Et très vite, au cours d'une conversation sur le langage, les deux protagonistes évoquent l'idée que sans langage, il n'y a pas de mémoire (pour faire court). L'une des comparses dit : "Yeah, well, an eloquent never forgets". Ce à quoi l'autre répond : "Ha ha ! Right. And elephants make trunk calls, which return us to communications !"
Vous voyez mon souci : Jeu de mots sur la ressemblance phonétique entre éloquent et éléphant (jusque là, coup de bol, pas de problème), mais ensuite double-sens sur "trunk calls" ("trunk" signifie "trompe", mais "trunk call" désigne un appel interurbain) qui doit permettre de revenir au sujet principal de la conversation, à savoir le langage / la communication. Comme ils disent : Yowza.
Alors bien sûr, il y a toujours la possibilité de passer outre la plaisanterie. Ca peut se faire sans provoquer les hurlements des familles dans des cas proprement intraduisibles où la blague n'est pas essentielle à l'histoire. D'ailleurs, un peu plus loin dans le même chapitre, Hermès dit "introductions are in order, though there's seldom order in introductions", et j'ai un peu fait l'impasse sur ce mot d'esprit là (peut-être épuisé que j'étais par cette histoire d'éléphant). Cela dit, comme je l'ai dit dans une édition précédente, dans l'immense majorité des cas, je préfère ne pas contourner le piège, car l'adaptation de ce genre de bons mots fait partie de mes grands plaisirs de traducteur.
D'autant que là, laisser tomber la blague n'est tout simplement pas possible, puisqu'elle forme un lien logique dans la conversation, et qu'un commentaire est fait immédiatement après sur l'esprit dont font preuve les deux femmes. Il est donc temps de se retrousser les manches de la tête, avec un peu de méthode et beaucoup d'instinct.
J'ai commencé par bêtement utiliser l'expression "Un éléphant, ça trompe énormément, ce qui nous ramène à la communication", mais je trouvais ça assez lourdaud, tiré par les cheveux... un peu naze, quoi.
Je suis donc parti du sens premier de "an eloquent never forgets" pour essayer de trouver un chemin de traverse qui me ramène à la communication. J'ai donc passé en revue un paquet de synonymes d'éloquent, ou de bavard, pour ensuite trouver un mot qui y ressemble et sur lequel on puisse faire jouer un double-sens qui ramène au sujet de la conversation. Oui, ça ressemble beaucoup à du jonglage.
Bavard / Buvard / Encre / Communication ? Bof, pas vraiment de double-sens.
Concierge / Cierge / Cire dans les oreilles / Communication ? Bof bof.
J'en avais un avec "commère" aussi, que j'ai oublié depuis, ce qui prouve bien sa bofitude.
La délivrance est venue au bout d'une petite heure, quand même, avec la formule suivante dont je suis assez fier :
"Une pipelette n'oublie jamais rien."
"Et une pipette s'exprime au compte-gouttes, ce qui nous ramène à la communication."
Et hop, au lit. Alan Moore, je t'aime.
Perdu dans la Translation 4 : Willie Nelson Vs Eddy Mitchell
Perdu dans la Translation 3 : Tu... vous... ça va ?
Perdu dans la Translation 2 : Parlay voo that, muthafuckas ?!
Perdu dans la Translation 1 : Nou3 plus maison
(Image copyright ABC)