Théâtre, comics et élucubrations diverses : Le Blog de Jérémy Manesse. (Toute rime est purement fortuite)
19 Décembre 2006
Hier soir, tite chérie, moi et une bonne grosse délégation du Café de la Gare étions au Zénith pour la dernière représentation du Dépôt de Bilan de Dieudonné avant qu'il ne démarre son Best Of à la Main d'Or. A vrai dire, la raison première pour laquelle j'y étais, c'est ma petite cousine, tout juste 18 ans, qui faisait une chanson en première partie. Ma cousine au Zénith, quand même, merde ! Pour ceux qui se demandent ce qu'elle faisait là, son père (mon oncle) est l'ingé son de Dieudo : Jacky, pour ceux qui sont déjà allé voir un spectacle d'Mbala Mbala ou qui ont vu des DVDs. Pas facile pour ma cousine, au fait : Les gens ne s'attendaient pas à une première partie et n'en voulaient pas franchement. Mais elle s'en est sortie comme une chef, malgré un pain technique, et a retourné la salle. Chapeau, Solène.
Bon, et puis c'était l'occasion évidemment de voir ce nouvel opus de Dieudo : J'avais vu les deux précédents spectacles mais j'avais raté celui-ci jusque là. Le spectacle confirme ce que je pense depuis un moment : En matière de one-man-show, tant au niveau du jeu que de l'écriture, Dieudonné est loin devant tout le monde.
Alors je me rends bien compte que dire du bien de Dieudonné de nos jours, c'est un petit exercice de corde raide. Pas évident de parler de lui et de son spectacle sans aborder tout un tas de trucs un peu saignants. Mais bon, allons-y : Non, Dieudonné n'est pas antisémite.
Je le connais depuis longtemps, le gars. Le Café de la Gare est une des premières salles qu'Elie et Dieudonné ont faites, à plusieurs reprises. Si j'aimais beaucoup ce que le duo faisait, je trouve que l'auteur et l'acteur Dieudonné se sont abonnis en solo. Et depuis ses tous premiers spectacles, il a toujours rejeté toute religion, tout concept de race, tout ce qui met les gens dans des cases ou des catégories, et leur donne de bonnes raisons de se mettre sur la gueule. C'est quelque chose avec quoi je me sens pas mal d'affinités. Même "français", j'ai du mal à comprendre ce que ça veut dire, à part qu'on parle une langue différente des voisins. Et la rivalité Marseille / Paris, c'est de la science-fiction pour moi (de la qui fait peur, à la Carpenter).
Usant de sa liberté d'expression avec talent, ça fait donc un bon moment que Dieudo attaque TOUS les communautarismes. Bon, il serait absurde de ne pas reconnaître qu'il ne s'est pas raidi avec le temps contre l'un de ces communautarismes, celui justement qui l'attaque systématiquement pour chaque spectacle, à travers des instances qui ne représentent pas vraiment ses "affiliés". Les spectacles de Dieudo cassent avec virulence du sucre sur le dos d'absolument tout le monde, mais tout le monde ne lui fait pas de procès. C'est ça qui l'a "braqué", je dirais.
Après, il a sans doute fait des erreurs, la première étant de ne pas avoir compris qu'on ne peut pas faire la même chose à la télévision qu'au théâtre. Quelqu'un qui va voir un spectacle, il fait la démarche de choisir le spectacle, de se rendre au théâtre, de payer sa place. Même s'il a entendu du bien de ce qu'il va voir, le fait d'aller au théâtre est - et doit continuer à être - une prise de risque. Même si ce goût du risque est hélas bien mis à mal en ces périodes troublées, comme je l'ai écrit il y a quelque temps. A la télé, on zappe, on fait autre chose en même temps, on est témoin de ce qui se passe à l'écran, on n'entend pas forcément tout, on n'est pas obligatoirement dans l'humeur pour subir ce qui nous est présenté (pour certains, les interventions au quinzième degré de Dieudo, pour moi, la Star Ac ou le journal de France 2). On est victimes de la programmation. Ca pourrait ne pas être un problème, mais ça l'est, et c'est une des causes de l'affadissement généralisé des programmes télé.
Et puis Dieudo n'a pas conscience que l'info aujourd'hui est un verre grossissant. On l'a montré aller au meeting du Front National, et même si je trouve que ça n'est pas la meilleure idée qu'il ait eue, je ne peux que constater le biaisement de l'info qui aurait aussi dû montrer Dieudo allant à la Fête de l'Huma ou aux meetings des autres partis : Il est allé là-bas pour entendre ce que tout le monde a à dire. Empêcher les gens de parler, refuser le débat, ne pas écouter, c'est radicaliser les positions de chacun et scléroser sa dialectique. Il faut pouvoir discuter de tout, être capable d'expliquer à quelqu'un pourquoi on n'est pas d'accord avec lui et tenter de le convaincre. Remplacer le débat par des procès, par les temps qui courent, c'est aller tout droit à la fin du monde. Depuis que Chirac a refusé de débattre avec LePen en 2002, ce dernier ne dit plus rien, et ne s'est jamais aussi bien porté.
Maintenant, je dois dire qu'il y a parfois autre chose qui me gène chez Dieudo : C'est son public. Pas parce qu'il est communautaire lui aussi (idée très répandue, mais j'y étais, c'est totalement faux... ou alors une communauté de jeunes, à la limite) mais parce que dans la masse, il y a effectivement - et la polémique y est sans doute pour beaucoup - des gens qui rient au premier degré et un peu trop fort à certains passages. D'ailleurs, Dieudo a ajouté dans ces derniers spectacles un passage où il en met aussi un peu plein la gueule à son public : J'apprécie, car une petite frange de ces spectacteurs (allez, 5% très bruyants, soit 150 personnes sur 3000 au Zénith ?) a eu le don de me foutre le malaise sur des passages pourtant drôles et m'a empêché de profiter pleinement du spectacle.
Le spectacle finit sur un sketch où plusieurs membres d'une nouvelle communauté s'expriment : La communauté des gens qui croient en "Rien". Un ex-musulman, une ex-juive, un ex-belge, un chinois et un africain. A la toute fin du spectacle, le débatteur tire la conclusion suivante, en gros : "Pourquoi ne pas croire en "Rien" ? Après tout on a passé des siècles à croire en quelque chose, qu'on soit musulman, juif, bouddhiste ou catholique, et tout ça nous a menés... à rien." Devant moi, une femme portant le voile a explosé de rire (je dois dire que c'est une image rare) et s'est levée comme tout le monde pour applaudir l'artiste. Le seul message que Dieudonné a toujours voulu faire passer, c'est celui-là : Pourquoi on s'échine à faire des clans ?
(Image Copyright Bonnie Productions)