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ON EN EST LÀ !

Théâtre, comics et élucubrations diverses : Le Blog de Jérémy Manesse. (Toute rime est purement fortuite)

Perdu dans la Translation 6 : J'en prendrai pour un poulet !

Comme promis depuis longtemps, je reviens sur l'album Captain Britain, dont j'ai pu constater sur les différents forums consacrés aux comics qu'il avait été un des cadeaux de Noël les plus réclamés par les fans de comics. Tant mieux, j'espère qu'il a fait un carton et qu'un deuxième volume rejoindra bientôt le planning Panini 2007 !

J'ai parfois quelques scrupules à écrire ces articles sur mes traductions, parce que j'ai du mal à croire que ceux qui les lisent - qu'ils soient d'accord ou pas avec mes choix - parviendront à ne pas être perturbés dans leur lecture du produit fini, en se remémorant mes diatribes. Le dernier truc que je veux, c'est nuire au plaisir de lecture... Ce serait tout le contraire d'une bonne traduction, en somme.

Pour ce retour sur images, du coup, je suis soulagé puisque la grande majorité d'entre vous auront déjà lu l'album avant de lire ces lignes... Du coup, cet article fait un peu office de "bonus DVD". Je ne reviendrai pas sur le cas de Captain Airstrip One que j'ai abordé dans une précédente édition, voyons plutôt quelques-uns des obstacles dont vous n'avez pas idée que je les ai rencontrés, si j'ai bien fait mon travail.

* Le premier obstacle que j'ai rencontré, c'est que Moore passe une grande partie du premier épisode à faire référence à des épisodes passés que je n'ai pas lus. Même si c'est pour en balayer une grande partie sous le tapis, il n'empêche que plusieurs termes techniques ("the Push", et tout ce qui concerne la mission de Saturnyne) ne peuvent pas être traduits au petit bonheur la chance. Pour traduire "the Push" par "l'Impulsion", il fallait que j'aie quand même une petite idée de ce en quoi consistait la chose. Pour ce problème, comme pour beaucoup d'autres, je loue Google et Internet. Je n'ose pas imaginer la difficulté de la tâche pour retrouver certaines références pour les traducteurs qui travaillaient avant l'ère de l'Internet.

* Je suis content d'avoir trouvé "votre énigme" pour traduire "your whyness", le terme honorifique dont tout le monde arrose la Majestrix. Le jeu de mots était impossible à retranscrire, mais la formule finale combine le mystère du "why" et la grandeur du "highness", je trouve. Tiens, j'ai vaguement hésité à traduire "Jackdaw" (le nom du sidekick de Cap) par "Choucas", dont je trouvais que c'était un nom sympa pour un sidekick, mais l'énorme "J" sur le torse du personnage m'en a dissuadé.

* Je tiens au passage à rendre honneur au Studio Vianney Jalin qui a fait le lettrage de l'album. Si vous avez l'occasion de jeter un oeil à la version US de l'album, vous constaterez que le calibrage et la taille des bulles du premier épisode, agrémentées d'un lettrage lilliputien, relevaient de la mission impossible. Le résultat final ne laisse rien paraître de ça, et c'est en très grande partie grâce au Studio. Chapeau bas.

* Le deuxième chapitre de la saga a sans doute été une de mes premières "grandes épreuves" en tant que traducteur chez Panini. Je pensais bien que Moore me pondrait un truc de ce genre : Huit pages ultra-denses, entre poésie et ouvrage super-héroïque, où l'on ne doit jamais perdre de vue cette espèce d'ambiance mélancolique qui exsude de l'ensemble. Ici, c'est le ton qu'il faut traduire, surtout. Quand on pense que ces huit pages sont payées de la même façon que huit pages de baston à base de "aïe", "prends ça", "tu vas mourir", c'est assez vertigineux. J'ai passé quelques jours sur ces pages, je regrette donc un peu que le joli titre "un haillon, un os, un cheveu..." ait gagné un "x" à "cheveu" quelque part le long du processus de mise en page... mais bon, ce sont des choses qui arrivent. D'une manière générale, un des soucis qui m'habitent quand je travaille sur une traduction est qu'au maximum, les personnages aient des "voix" aussi différentes en français qu'en anglais. Merlin ne peut pas parler comme Captain Britain, qui ne peut pas parler comme Jaspers, qui ne peut pas parler comme Arcade... Il est des traductions pas forcément mauvaises qui donnent une impression de fadeur à la lecture de l'ouvrage, à mon sens, parce que tout le monde semble parler de la même façon.

* Tiens, la Renarde. En anglais, c'est "the Vixen", il a fallu que j'aille creuser dans mes vieux vieux Titans pour retrouver la correspondance. Quand on en parle dans la première fois dans l'album, Moore semble ne pas être sûr si le personnage sera un homme ou une femme. Il y a, malgré tout le talent de Moore, deux trois trucs, comme ça, où il change de cap en cours de route ou oublie d'aller vérifier ce qu'il a écrit lui-même plus tôt. Par exemple, deux chapitres qui renvoient l'un vers l'autre s'appellent "Un Monde Perverti" et "Un Monde Perverti (reprise)". En anglais, Moore est passé de "Twisted" à "Crooked", pourtant le "reprise" fait expréssément référence à un titre semblable. J'ai pris la liberté "d'unifier" l'ensemble.

* J'ai mis quelque temps à trouver une traduction qui me convienne pour le "Special Executive", les chasseurs de prime rigolos lâchés sur Captain Britain. La référence semblait indiquer un rapport à l'entreprise, à l'administration, ce que je pouvais comprendre de la part de Moore, mais aucune des traductions sur lesquelles je passais ne me paraissait judicieuse. C'est en faisant un peu de recherche que j'ai découvert que le terme "executive action" (le titre, que j'ai traduit par "Mesures Extrêmes") désignait aussi des opérations secrètes de la CIA, des assassinats souvent, ce qui me semblait aussi être une hypothèse ressemblant à Moore, et collant beaucoup plus à ce qui se passe dans la BD. En creusant un peu plus, j'ai établi que le "Special Operations Executive" était un corps devant mener la Deuxième Guerre Mondiale par des moyens détournés... et également appelé "l'Armée Secrète de Churchill". Si c'était pas un nom nickel pour mes chasseurs de prime, ça ! Va pour "l'Armée Secrète".

* J'ai pris beaucoup de plaisir à traduire les dialogues des deux "commentateurs" du procès de Saturnyne, le passage ouvertement comique de l'album, jouant donc à priori dans mes forces en tant qu'auteur de comédies. Le "oui, et puis il faut dire qu'elle est assise" m'emplit de joie à chaque lecture.

* Dans le genre jeu de mots tordu, la conversation entre Jaspers, Sebastian Shaw et Peter Gyrich m'a donné bien du fil à retordre, aussi. En gros, Jaspers remercie Shaw de sa générosité, celui-ci proteste qu'il n'a donné que quelques piécettes et lui présente Gyrich, agent de la CIA. Pour cela, cependant, il use d'une transition intraduisible en usant du double sens de "copper", qui veut à la fois dire "petite monnaie" et "poulet" (et tout d'un coup, tout le monde comprend le titre de cet article). "Petite monnaie" désigne le don à Sir James, "poulet" désigne Gyrich. Je suis finalement tombé d'accord avec moi-même, pour la phrase de Shaw, sur "Une broutille, Sir James, un fond de tirelire. Ah, en parlant de comptes secrets, je vous présente...".

* Le titre anglais d'un des derniers chapitres est "Among those dark, satanic mills". Quand on tombe sur une phrase comme ça utilisée en titre, on peut être sûr qu'elle est empruntée à une oeuvre, autant se renseigner donc avant de la traduire. Et là, surprise : La phrase est tirée d'un poème de William Blake, "Jerusalem", et je tombe carrément sur une discussion entière, sur un forum, sur la signification exacte de cette phrase. "Mills" désigne-t-il des moulins, des usines ? Le consensus semblait pointer vers les usines, ce poème étant également vu comme un pamphlet contre l'industrialisation, un autre thème qu'on trouve souvent chez Moore. J'ai donc opté pour "Parmi les Sombres Usines du Diable".

* Parfois, on passe par tout un tas de détours pour arriver à un truc super simple : lorsqu'il rencontre de nouveau Jaspers, Captain Britain erre dans un monde devenu fou, et l'histoire elle-même est devenue un peu folle par rapport aux comics plus "sages" de l'époque (c'était avant que Claremont ne pille les idées de Moore pour Excalibur). Du coup, Cap, comme le lecteur, est sans doute un peu désorienté, et Jaspers lui lance "Can I help you, Sir ? You appear to be lost... lost in the funhouse". Là aussi, j'aurais pu me lancer dans une traduction à l'instinct (personne n'aurait rien vu, je pense), mais j'ai préféré faire un peu de recherche d'abord (avec Moore, c'est très souvent une bonne idée). Lost in the Funhouse est un recueil de nouvelles écrit par John Barth en 1968, dont chacune des histoires courtes tente d'innover dans sa narration. L'une des histoires est racontée depuis le point de vue d'un spermatozoïde, une autre fonctionne en boucle, devenant donc à la fois la plus longue et la plus courte des histoires jamais écrites... Ce bouquin qui aurait dû être un suicide commercial a à l'époque fait un véritable carton. Mis en parallèle avec la situation où est Captain Britain à ce point de l'histoire, le lien est évident. Maintenant, le bouquin est inédit en France, ce qui est dommage, la traduction du titre m'aurait donné une piste. Finalement, il m'a semblé plus important de préserver le fait que le commentaire s'adresse à la fois au Captain et à nous, lecteurs, que de chercher à tout prix à caser un "parc d'attractions" ou un "palais des glaces" là-dedans. Ce qui donne : "Je peux vous aider, Monsieur ? Vous semblez perdu... On s'amuse, pourtant !"

* Il est facile de rater des subtilités du texte original, des double-sens. La page d'après "Lost in the Funhouse", Saturnyne force Captain UK a prendre ses responsabilités de super-héroïne. Mais si on lit le texte en oubliant totalement le contexte, on a la description à peine voilée d'un dépucelage difficile. Ce second degré doit donc demeurer après traduction, ce qui aurait facilement pu passer à l'as, sans même nuire à la lecture "premier degré" de l'histoire.

Voilà, ça suffira pour ce dernier Perdu dans la Translation de l'année. Si je ne mets pas le site à jour d'ici là, bonne année à tous, et à très bientôt !

Perdu dans la Translation 5 : Des éléphants dans la ville
Perdu dans la Translation 4 : Willie Nelson Vs Eddy Mitchell
Perdu dans la Translation 3 : Tu... vous... ça va ?

Perdu dans la Translation 2 : Parlay voo that, muthafuckas ?!
Perdu dans la Translation 1 : Nou3 plus maison

(Image Copyright Marvel)

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T
J'avais déjà le trade US de Captain Britain mais la lecture de cette note m'a donné envie d'acheter la version française.  Il est vrai que j'aurai pu tout simplement relire le TPB mais quand je l'ai ouvert et que je me suis apperçu qu'il commençait à se décoller j'ai sauté le pas (on s'excuse comme on peut d'un achat compulsif).De plus en comparant les 2 versions je peux aussi dire que la qualité du papier du bouquin en français apporte un petit plus au niveau des couleurs pas dégueu.
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J
Tu es tout excusé ! :)
K
Très intéressant, encore une fois. Que dire de plus sans me répéter. Ben rien.
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