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ON EN EST LÀ !

Théâtre, comics et élucubrations diverses : Le Blog de Jérémy Manesse. (Toute rime est purement fortuite)

Vous voulez vraiment faire ça ?

Parmi les trucs sympas que permettent les Blogs d'Overblog, il y a les outils de statistiques, qui sont assez instructifs. Par exemple, j'y ai eu la surprise de constater qu'il y a trois ou quatre personnes au moins, par jour, qui arrivent sur mon Blog en ayant tapé mon nom sur Google. Curieux. Je me dis que c'est peut-être les mêmes gens chaque jour, qui ne savent pas comment fonctionnent les Favoris.

Il n'y a pas longtemps, l'un de ces indicateurs a attiré mon attention : Un visiteur est arrivé ici en faisant une recherche sur les mots "inconvénients du théâtre". C'est compréhensible : J'ai rarement présenté ici une image idyllique du paysage théâtral, que ce soit en parlant des goûts du public (et je n'ai pas dit mon dernier mot là-dessus) ou de certains incidents techniques.

Mais il est vrai que viennent souvent vers moi des intermittents du spectacle, des comédiens souvent, qui cherchent à comprendre comment on arrive à travailler et à gagner sa vie quand on "fait" de la culture. On fait un métier très glamour, très attirant... mais la vérité, c'est que si on cherche la sécurité de l'emploi, le succès... Je recommande vraiment, vraiment de faire autre chose. Pour un acteur qui arrive à faire son trou (et quand je dis arriver à faire son trou, je veux dire arriver à en vivre), il y en a, allez, 200, 300 qui rament ? Une des blagues connues du milieu, c'est de répondre à quelqu'un qui dit qu'il est comédien : "ah, et tu bosses dans quel restau ?". Ca n'est même pas caricatural.

Pour ma part, je suis enfant de la balle, je suis quasiment né dans un théâtre, je joue à peu près régulièrement depuis 1991, j'écris depuis 1996 et je monte des pièces en tant qu'auteur et / ou metteur en scène depuis 2001. Je fais partie des quelques privilégiés qui peuvent s'exprimer sans devoir se plier aux humiliations des séries de merde et des castings de bétail pour pubs. J'ai plus ou moins un théâtre à ma disposition, j'écris donc je me fournis mes propres rôles de comédien, et je peux me permettre de monter une pièce d'abord parce qu'elle a quelque chose à dire, et pas en ayant le succès en ligne de mire, contrairement à beaucoup d'autres, ce qui explique (mais pas toujours, hélas) la pauvreté de contenu des pièces à l'affiche.

Et pourtant, si je peux avoir le train de vie qui est le mien, c'est en grande partie parce qu'en parallèle de ma carrière d'auteur / comédien / metteur en scène, je suis traducteur / éditorialiste pour Panini. Depuis mai dernier, j'ai eu quelque chose comme dix cachets de comédien, alors que je joue régulièrement, et je me retrouve à devoir produire mes pièces avec mes propres deniers, gagnés grâce à mes traductions et mes droits d'auteur : Au théâtre (et à moins bien sûr d'être dans les réseaux subventionnés), travailler ne veut pas forcément dire gagner sa vie. Il m'est arrivé de jouer neuf mois de suite la même pièce sans toucher un centime.

Mais que ce soit bien clair : Ca n'est pas une situation dont je me plains. Je l'évoque pour donner matière à réfléchir à ceux qui auraient envie de sentir la lumière des projecteurs, qui seraient alléchés par la vue des stars "Academy" immédiates dont la télé nous gave.

Dans les loges du Café de la Gare, il y a une citation de Louis Jouvet, dont je ne me souviens pas exactement, mais qui en substance explique que le comédien doit savoir rester pauvre, pour ne pas compromettre son intégrité. On ne doit pas faire comédien parce qu'on veut devenir célèbre, on doit faire comédien parce qu'on a des choses à dire, à faire passer. Ma tite chérie a participé à des réunions regroupant des comédiens ne touchant plus les Assedic, et l'ambiance d'assistanat qui y régnait l'a atterrée. Une participante a même soulevé l'idée que ces réunions, faites pour essayer de "trouver des solutions", soient rémunérées. C'est de la merde. Le seul intérêt que peuvent avoir ces réunions, c'est de faire se rencontrer des gens, parce que là est la seule chose que doit rechercher le comédien au chomage : Se faire des potes, créer des bandes, monter des projets en troupe, parce que l'union fait la force. Je ne dis pas seulement ça parce que le Café de la Gare est né comme ça, mais parce que le métier de comédien peut être un métier profondément et terriblement solitaire. Même quand on est pris sur une pièce, vient toujours le moment où cette pièce s'arrête, et ou la seule chose qui structurait vos journées disparaît. Les intermittents du spectacle comptent dans leurs rangs un nombre insensé de dépressifs.

C'est pas très fun, tout ça, hein ? Désolé, mais je préfère que les gens se lancent là-dedans en connaissance de cause. Par exemple, qu'ils n'arrêtent pas forcément leurs études pour se lancer dans le théâtre (ça n'est pas incompatible, au contraire de ce que l'éducation nationale tentera souvent de vous faire croire... elle l'a fait pour moi). Qu'ils ne comptent pas sur leurs agents pour leur trouver des rôles, mais pour négocier leurs contrats. Qu'ils prennent des cours de théâtre non pas pour apprendre quelque chose (même si un accident est toujours possible), mais pour rencontrer ceux avec qui ils monteront leurs projets (et donc y aller dans un esprit d'écoute des autres et non pour montrer qu'on est le meilleur). Il faut être prêt à en chier et savoir qu'à part pour une petite, petite poignée d'entre nous, la stabilité de l'emploi ne viendra jamais.

Il faut en avoir conscience, parce que la contrepartie, c'est que c'est un métier formidable. Gratifiant, enthousiasmant, que tout les gens qui travaillent dans un bureau nous envient. C'est un métier qui si on le fait bien muscle l'intelligence, la sociabilité, l'écoute... mais qui peut aussi vous plonger dans l'égocentrisme, l'égoïsme et l'apitoiement le plus total. Beaucoup de dépressifs, je disais, mais beaucoup d'aigris aussi.

Et dans le même ordre d'idée, je dirais à tous ceux qui veulent "monter à Paris" pour faire carrière : Non, surtout pas. On est trop à Paris. Il y a trop de choses, pas assez de boulot pour tout le monde, le public trop gâté est moins sympathique qu'en province : C'est la jungle. Si vous avez l'occasion de monter quelque chose dans votre patelin, faites-le, il sera toujours temps de venir vous casser le nez à Paris quand vous aurez fait votre trou. Votre but, je le répète, ça ne doit pas être de devenir célèbre, et dans cette optique là, vous n'avez rien à faire à Paris. Mon grand frère travaille depuis vingt ans dans le même café-théâtre de Montpellier, il est heureux, il a une femme, deux enfants, une maison. Il travaille tout le temps et peut se déplacer sans être reconnu tous les trois mètres. Génial.

Et si malgré tout ça, vous voulez quand même tenter votre chance... Alors c'est sans doute que vous le faites pour les bonnes raisons. Bonne chance, donc !

(Image Copyright CDLG)

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B
ton temoignage sur la situation des acteurs , metteur en scéne et intermittent en general est tres juste , tres concret....... Je connais bien ce milieu non pas parcque j'en fai tpartie , mais mon amie est elle meme metteur en scene et en DEA d'art du spectacle. Tous ses ami(e)s sont comédien / nes et ramer dans ce milieu est plus que fréquent...... peu y arrive<br /> heureusement une amie commence  petit a petit a en vivre.... <br /> je suis d'accord pour le travail en groupe...... creer une troupe , tenter de s'en sortir avec des projets collectifs , voila une possibiltié de s'en sortir. J epense que ceux qui veulent monter absolument sur paris pour reussir st une connerie monumental .. y aller apres avoir fait ses armes sur scene d'accord mais sans expereince c'est la meilleurfacon de se degouter du metier<br /> je ne connaissais pas cette partie de ta vie mais je suis heureux de la connaitre dorenavant 
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J
Café de la gare!!! quel souvenir... bien le blog! tu as la blog attitud' (sourire)  je te rassures tu n'es pas seul sur le net!! on est quelques millions! c'est chouette non? quelques millions de "potes" que l'on ne verra jamais!  Bon allez unissons nous et show must go on! jean max
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J
Coucou les nouveaux ! Et bienvenue !!!
L
Et oui ! une de plus!!! ... (de visiteuse)  sympa, dynamique, percutant ... je reviendrai pour tout lire!!! promis! a plus Laurence
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N
Ca fait du bien d'entendre ça je trouve... Ca permet de se demander si on veut vraiment vivre sa passion, avant de vivre de sa passion...<br /> En tout cas on est tous d'accord sur la base de l'union qui fait la force... y'a rien de pire que de douter dans un coin... vaut mieux foncer à plein, je crois !<br /> Je voulais juste dire merci d'être franc sur le sujet... ben.. voila c'est fait je crois !
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J
Merci à toi... Vivre sa passion avant de vivre de sa passion : Belle formule.
S
Voici un élément de réponse à tes interrogations sur le détour par Google: personnellement, je suis mis au courant des actualisations de ton blog par flux rss, entre "Segolène Royale annonce son pacte républ" et "référendum sur l'IVG, les Portugais à l'", ce qui fait que parfois je clique droit au lieu de cliquer gauche, mais comme je passe généralement par la voie rss je ne juge pas utile de mettre ton blog en favoris, donc Google. CQFD.(sinon, bien que ce soit en tant que comics-addct que je fréquente www.jeremymanesse.com, je suis aussi un peu acteur et suis bien content du témoignage juste que tu as livré là)
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J
Aaaaah, d'accord. C'est vrai que le truc rss, je l'ai mis sur le blog, mais j'ai pas encore bien compris à quoi ça sert. Je commence à faire partie des vieux d'Internet, putain.